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(fr) Courant Alternative #347 (OCL) - Le procès des viols de Mazan, les hommes, et la stratégie féministe
Date
Fri, 14 Feb 2025 17:39:53 +0000
Du 2 septembre au 19 décembre 2024 s'est tenu le procès dit des «viols
de Mazan», du nom de la commune du Vaucluse où la plupart des viols ont
eu lieu. Ce procès, qui s'est conclu par la condamnation des 51 accusés
(reconnus coupables de viol aggravé, tentative de viol et agression
sexuelle, par soumission chimique) a été unanimement qualifié
d'historique à divers titres. L'objet de cet article est d'interroger le
caractère historique de ce procès, de le replacer dans un contexte plus
large et de dégager des perspectives féministes, notamment en ce qui
concerne les hommes. ---- Rappel des faits ---- De 2011 à 2020,
Dominique Pélicot a utilisé un procédé de soumission chimique
(anxiolytiques et somnifères) afin de rendre inconsciente sa femme
Gisèle Pélicot pour la violer et la faire violer par des dizaines
d'hommes, recrutés sur le site internet «Coco», mis en cause pour de
nombreux faits criminels (1). Ces viols, plus de 200, ont pour un grand
nombre été filmés par Dominique Pélicot, et conservés sur un disque dur,
totalisant 20 000 photos et vidéos, sous l'appellation «Abus». Dominique
Pélicot a également violé sa femme hors du domicile de Mazan: en
Île-de-France, chez leur fille, mais aussi sur L'Île de Ré et sur une
aire d'autoroute. De plus, il a fourni les médicaments à plusieurs
co-accusés pour leur permettre de perpétrer le même mode opératoire sur
leur compagne, dont une a ainsi été violée cinq fois.
Et si tout cela ne suffisait pas, Dominique Pélicot a aussi pris en
photo sa fille aînée inconsciente et en sous-vêtements, filmé ses
belles-filles dans la salle de bain et diffusé les images, en plus
d'avoir filmé sous les jupes de femmes dans les supermarchés. Une
enquête pour abus sexuels sur ses petits-enfants est ouverte. Enfin,
depuis 2022, il est mis en examen pour plusieurs autres affaires: une
tentative de viol, en 1999 en Seine-et-Marne, et un viol suivi du
meurtre de la victime, en 1991 à Paris.
Gisèle Pélicot a vu son état de santé se dégrader pendant les 10 ans de
calvaire que son mari lui faisait subir: importante perte de poids,
absences et pertes de mémoires (au point de lui suspecter un Alzheimer),
lourds problèmes gynécologiques.
Un procès politique
Le nombre de violeurs, estimé grâce aux vidéos, est de 83, mais seuls 54
d'entre eux ont été identifiés et 51 (âgés de 21 à 68 ans au moment des
faits) ont comparu sur le banc des accusés (un décédé, deux relâchés
faute de preuves). Dès son ouverture, Gisèle Pelicot souhaite donner une
tonalité politique au procès, afin qu'il serve d'exemple: elle refuse le
huis clos, contre l'avis du Parquet et de plusieurs avocats de la
défense, pour que la «honte change de camp». Elle renonce, comme ses
enfants et petits-enfants, à l'anonymat, et demande à ce que les photos
et les vidéos de ses viols soient visionnées publiquement pendant le
procès. Elle transforme explicitement son épreuve en combat, ce que les
groupes féministes (et une partie de la sphère politique -
principalement à gauche, mais pas uniquement) vont saisir, en assurant
une présence quotidienne devant le tribunal d'Avignon, avec des
banderoles de soutien et en acclamant Gisèle Pélicot à l'entrée et à la
sortie chaque jour d'audience. Une partie des commentateurs feront de ce
procès celui, au choix, de la culture du viol, de la masculinité toxique
ou du patriarcat. On notera le silence relatif de l'extrême-droite, pour
qui le profil des accusés s'éloigne probablement un peu trop de celui
qu'ils ont l'habitude de dénoncer, à savoir celui du migrant marginal
(2)....
Le procès a été qualifié par la presse et par la victime de
particulièrement éprouvant. Il faut en effet imaginer Gisèle Pélicot,
dans une salle d'audience, en présence de 51 des hommes qui l'ont
violée, endurant les vidéos insoutenables de ses propres viols,
ponctuées des commentaires écoeurants des accusés.
L'ensemble des accusés a été reconnu coupable, et les peines prononcées
vont de 3 à 20 ans de prison, la peine maximale et attendue étant pour
Dominique Pélicot. 17 accusés ont fait appel.
Entre fantasmes répandus et passage à l'acte: des facteurs de vulnérabilité
Notre société est percluse de situation concrètes de domination d'hommes
sur les femmes et leur corollaire idéologique est diffusé à l'envi dans
les vidéos de fiction ou la pornographie. Et de fait, c'est bien la
domination qui est la motivation de la majorité des viols, bien avant ce
qui est souvent avancé comme une défense, à savoir l'assouvissement
d'une pulsion sexuelle irrépressible (sous-entendu naturelle et
typiquement masculine) (3). La banalisation de ces idées comme des actes
vient compliquer la possibilité de discerner chez un individu
l'explication personnelle du passage à l'acte - déclencheurs individuels
liés à des trajets de vie, «facteurs de vulnérabilité» -, du
conditionnement imposé à chaque être humain vivant dans une société dans
lesquelles ces idées sont tant diffusées. On pourrait résumer plus
simplement cette idée en constatant que si tous les individus sont
exposés à ces idées, que la société laisse entendre aux hommes qu'ils
ont quelque chose de positif à tirer de la domination des femmes, tous
les hommes ne passent pas à l'acte, et même quand ils le font, ne le
font majoritairement pas de la manière dont l'a fait Dominique Pélicot.
Ont été utilisés, lors du procès, plusieurs arguments qui relèvent
clairement de l'auto-justification et de l'inversion de la culpabilité:
Dominique Pélicot a ainsi expliqué à un co-accusé avoir violé par
vengeance «à cause» d'une relation extra-conjugale de Gisèle Pélicot.
Également, on a tenté de faire jouer la jalousie qu'il aurait ressentie
d'être d'une extraction sociale inférieure à sa femme (elle, fille
d'officier supérieur, amatrice de littérature et de musique classique,
lui sorti tôt de l'école, fils de contremaître, ayant emprunté de
l'argent à des membres de la famille de son épouse). Sur une vidéo
diffusée lors du procès, on l'entend déclarer lors d'un viol: «Elle aime
pas les Blacks, elle en a un dans le cul, salope de bourgeoise.»
Or, loin d'être une affaire personnelle, cette érotisation de la
vengeance est tristement banale: violer pour punir suite à une relation
extra conjugale, dégrader une «bourgeoise» par le viol... Quant au fait
de tenter de faire porter à Gisèle Pélicot une part de la responsabilité
en lui demandant si l'un ou l'autre de ces arguments aurait pu jouer un
rôle dans la mise en place de cette situation, il ne s'agit rien moins
qu'une stratégie judiciaire dégoutante, mais répandue dans les cas de
viol, dans lesquels la femme passe de victime à coupable (voir dans ce
numéro l'article L'histoire du viol, un révélateur de l'ordre patriarcal).
Lors du procès, des experts (des psy) ont été appelés à donner un
éclairage psychologique de la personnalité de Dominique Pélicot. Ils
évoquent un «clivage» (notion freudienne) entre deux facettes de sa
personnalité. Celle d'un homme attentionné, généreux, un bon père et un
époux idéal, avec un «rapport à la réalité correct», «pas de pathologie
mentale», «pas d'antécédents psychiatriques», et celle, à l'inverse,
d'un «pervers XXL» envahi de paraphilies (‘déviances' sexuelles):
«somnophilie aux confins de la nécrophilie». D'après Élisabeth
Roudinesco, psychanalyste, «il est dénué d'empathie[...], l'autre est un
pur objet -[il]jouit de sa toute-puissance, mais aussi du mal qu'il
inflige à sa victime. (4)» Même si l'on peut interroger l'usage qui est
fait de tels profils psychologiques par la justice (les enquêtes de
moralité desservent tous ceux qui ne rentrent pas dans la norme), ainsi
que les prémisses sur lesquels ils reposent, ils permettent d'identifier
chez Dominique Pélicot des «facteurs de vulnérabilité» associés au
passage à l'acte. Il raconte ainsi une enfance particulièrement
traumatique (violence physique et verbale de son père, envers lui et
envers sa mère), dans un contexte familial compliqué (sa mère a eu des
enfants avec le grand-frère de son père), avec des suppositions de viol,
d'exposition à la sexualité parentale, et d'obligation de participation
à une agression sexuelle collective.
Parmi les accusés, beaucoup ont vécu une enfance similaire à celle de
Dominique Pélicot. «ils ont connu des perturbations sévères pendant leur
enfance: ils ont été victimes d'abus sexuels, ils ont assisté aux ébats
sexuels de parents exhibitionnistes, ils ont vécu des abandons, ils ont
souvent été traités comme des objets. De tels traumatismes ne donnent
pas toujours des criminels, mais ils donnent toujours des adultes
perturbés. (4)». On peut partager la thèse de Roudinesco, car on ne naît
pas pervers (au sens freudien), on le devient. Mais ici, mettre en avant
ces éléments, voire en ajouter opportunément certains, peut aussi être
une stratégie des avocats de la défense pour tenter de déresponsabiliser
les accusés de leurs actes...
Également, affirmer comme la psychanalyste le fait que ce procès n'est
pas celui «de la masculinité ou du patriarcat: cette manière de penser
méconnaît la nature perverse des crimes. Certaines pathologies sont
liées aux traumatismes infantiles, pas au contexte politique ou social.
Tout homme, contrairement à ce que j'entends parfois, n'est pas un
violeur en puissance», pose le problème de faire croire que les
violences faites aux enfants ne sont que des accidents de parcours. Au
contraire, les traumatismes infantiles sont liés à un contexte
profondément social: le patriarcat n'est pas que la domination des
hommes sur le corps des femmes, mais aussi sur celui des enfants. Lutter
contre le patriarcat pour supprimer les violences faites aux femmes,
c'est aussi vouloir supprimer celles faites aux enfants, qui constituent
parfois le terreau de la reproduction des violences à l'âge adulte.
Il ne s'agit en rien de dédouaner Dominique Pélicot et les autres
accusés de leurs actes, mais d'identifier ces «facteurs de
vulnérabilité» (carences et maltraitances, antécédents de violences
sexuelles subies dans l'adolescence et distorsions cognitives associées,
confrontation à une sexualité précoce, climat incestueux) associés au
passage à l'acte, afin de dessiner un axe de compréhension et de lutte
pour faire advenir une société exempte de ce genre d'horreurs: pour
lutter contre le patriarcat, il faut aussi lutter contre l'appropriation
du corps des enfants.
1978-2024: d'un procès à l'autre
Le procès des viols de Mazan, a permis de mettre en lumière ce que le
«mouvement» #MeToo (initié à l'automne 2017) n'avait pas pointé, mais
que les associations et groupes féministes essaient de médiatiser: que
les violences sexuelles sont en très grosse majorité commises dans la
sphère privée.
En revanche, les débats sur la responsabilité des violeurs et le
reversement de la culpabilité lors du procès ne sont pas nouveaux. Le
parallèle avec le procès des violeurs d'Anne Tonglet et Araceli
Castellano, soutenues par l'avocate Gisèle Halimi à Aix en 1978, a
souvent été fait (pour plus d'informations sur ce procès, voir l'encart
inséré dans l'article précédent dans ce numéro: L'histoire du viol, un
révélateur de l'ordre patriarcal). En effet, dans les deux cas, il y a
eu une volonté explicite de la part des victimes et de leurs avocats que
le procès serve à faire évoluer la société, notamment en refusant le
huis clos, afin que les victimes de viol n'aient plus honte et ne se
sentent plus coupables. Le procès d'Aix de 1978 a contribué à la
modification de la loi sur le viol, en 1980, qui réaffirme ainsi que le
viol est un crime, et doit donc être jugé aux assises, permet à la
victime de refuser le huis clos si elle le souhaite, et élargit la
définition du viol à toute pénétration sexuelle non voulue. Dans celui
de 2024, une partie du mouvement féministe s'en est emparé pour demander
une nouvelle loi sur le consentement (cf. partie suivante «Quelle
stratégie féministe?»).
On peut aussi faire le parallèle dans la manière dont le corps de ces
femmes a été traité comme ne leur appartenant pas vraiment: en 1978, un
des accusés assure ne pas être un violeur car il a dragué les deux
femmes, sous-entendant que la démarche de séduction donne accès au
corps. D'ailleurs, le procès verbal de la plainte suggère dans sa
formulation qu'elles aient pu été consentantes (alors qu'elles allèrent
porter plainte en sang...). En 2024, de nombreux accusés se défendent
d'avoir pu commettre un abus sur une femme dès lors que son mari la leur
«offrait» et nient avoir eu connaissance de l'inconscience de la victime
(alors même que les vidéos visionnées durant le procès et la teneur des
échanges préalables sur internet ne laissent pas place au doute), se
passant donc du consentement ou du souhait d'une femme pour la pénétrer.
Les uns comme les autres affirment être l'objet d'une machination.
Une autre ressemblance frappante entre les deux procès est la stratégie
mise en place pour discréditer les victimes et leurs avocats, parfois
dans la violence. Au procès d'Aix, Gisèle Halimi a été frappée et
insultée, en tentant de pénétrer dans le tribunal, devant lequel des
groupes d'hommes venus en solidarité avec les violeurs font face à des
rassemblements féministes. À Avignon, l'agressivité a davantage lieu sur
les réseaux sociaux, et elle est moins forte devant le tribunal qu'en
1978, même s'il y aura tout de même des insultes et des coups échangés.
Cette différence tient peut-être à une évolution de la perception du
viol dans la société (5). De plus, le nombre, l'assurance et la
proximité des accusés lors des audiences et dans la salle des pas perdus
a aussi facilité leur fraternisation masculiniste, lors du procès, voire
en dehors, pour ceux qui comparaissaient libres.
En revanche, contrairement aux deux plaignantes de 1978, Gisèle Pélicot
est présentée comme une héroïne dans de nombreux articles de presse.
Quelle stratégie féministe?
Cependant une différence majeure entre les deux périodes concerne les
débats sur la stratégie féministe à adopter par rapport à la justice
bourgeoise, et donc le recours à l'État pour régler le problème des
violences sexuelles. On a vu notamment la banderole «20 ans pour chacun»
apposée devant le tribunal d'Avignon, qui semble malheureusement
représentative du peu de perspectives anti-carcérales dans le mouvement
féministe français actuel et de l'illusion répandue que la prison puisse
résoudre quoi que ce soit au problème que le patriarcat, l'État, le
capitalisme, l'école, etc., et ... la prison (qui reproduit les
violences sexuelles) ont créé. Le débat, houleux, divisant violemment
les féministes de l'époque de Gisèle Halimi, a pourtant existé, comme le
souligne un article de Révolution Permanente (6), citant la Ligue du
droit des femmes (mai 1978): «Ce n'est pas l'emprisonnement de
l'agresseur qui changera sa mentalité et qui lui apprendra qu'une femme
est un être humain. Par conséquent, cette peine est inutile, puisqu'elle
n'apporte rien aux femmes et ne fait pas évoluer les mentalités.» Cette
réflexion au sein du mouvement féministe pourrait réémerger, dans le
sillage de certains ouvrages récents (7).
De même, au-delà de la question de la prison, les voix féministes qui
tentent de construire une stratégie autonome sans revendications liées
au pouvoir d'État sont aujourd'hui bien peu audibles, contrairement à ce
qu'il se passe dans plusieurs pays d'Amérique Latine par exemple: «Alors
qu'en Occident la revendication féministe est relayée par beaucoup de
médias, d'intellectuel-le-s, d'élu-e-s voire de gouvernants, elle a
souvent ailleurs pour adversaires ouvertement déclarés l'appareil d'État
dans son ensemble, une ou des Églises, ou encore des réseaux mafieux.»
(8) Cela entraîne une défiance forte à l'égard de ces différents
pouvoirs et pousse à une organisation qui s'en affranchit: «Au Mexique
la corruption et la misogynie généralisées de la police, de la justice
et des gouvernants incitent des militantes telles que celles du Bloque
Negro («Bloc noir») à miser sur une autodéfense féministe plutôt qu'à
porter plainte.»
Les grandes associations et collectifs (Fondation des femmes,
NousToutes...), ont demandé, au-delà de la répression judiciaire dans le
cas des viols de Mazan, une «loi intégrale contre les violences
sexuelles», «l'éducation des enfants et des jeunes aux stéréotypes de
genre, aux violences sexistes et sexuelles, et au consentement» et de
«définir clairement ce qu'est le consentement et ce qu'il n'est pas».
Ces groupes inscrivent ainsi leurs revendications dans le sillage de la
mobilisation espagnole, qui, depuis 2016 (année du «viol de La Manada» -
«La Meute», en espagnol (9)) a mobilisé des millions de personnes (5,9
millions de participants à la grève du 8 mars 2018, d'après les
syndicats) et dont l'aboutissement politique a été l'adoption d'une
«loi-cadre» sur les violences sexuelles, protégeant davantage les
victimes et redéfinissant légalement le consentement par le «seul un oui
est un oui».
La comparaison entre la massivité de la mobilisation espagnole (10) et
le peu d'écho dans la rue pour les viols de Mazan interroge (10 000
manifestants le 14 septembre 2024 partout en France en soutien à Gisèle
Pélicot, puis une journée de lutte contre les violences faites aux
femmes, 25 novembre 2024, pas plus massive que d'habitude, et rien
ensuite). On peut avancer deux hypothèses, parmi lesquelles il est
difficile de trancher. Premièrement, les violeurs de «La Manada» avaient
été condamnés à des peines assez légères initialement, avant la
requalification de l'affaire en viol, en partie suite à la mobilisation
massive qui avait eu lieu après rendu du premier jugement. Ce n'est pas
ce qu'il s'est passé dans le cas du procès Pélicot, pour lequel le
verdict correspond à la réalité (il y a reconnaissance du fait qu'il y a
eu viol) et les peines prononcées ont à peu près la sévérité attendue.
Deuxièmement, contrairement à la France, où le féminisme semble parfois
replié sur des segments restreints de la population (femmes diplômées)
de gros efforts de terrain ont été faits par les féministes espagnoles
pour diriger constamment leurs actions vers la population, afin
d'inclure un maximum de personnes sur des problématiques concrètes.
«M. Tout-le-monde»?
Dans la presse, grand public ou militante, il a été martelé que les
accusés étaient un «M. Tout-le-monde», soulignant différentes formes de
diversité. «Des Blancs, une majorité de Blancs, des Maghrébins, trois
Noirs.[...]Des crânes rasés, des cheveux blancs, des grisonnants, des
cirés, des teints en noir, des avec houppette colorée. Des piercings,
des tatouages. (11)» Mais ce qui revenait le plus souvent, ce sont les
professions des condamnés (12), supposées représentatives de la
population française. Pour donner un échantillon: plusieurs militaires
ou anciens militaires, des chauffeurs routiers, des chômeurs, des
ouvriers, des artisans, des employés... Bref, des prolétaires. Seules 4
profils font figures d'exception: un diplômé en communication,
président de la Jeune chambre économique du Grand Avignon et journaliste
indépendant, un dirigeant d'une petite entreprise d'électricité, un chef
de chantier d'une entreprise dont le père est PDG (la mère
aide-soignante), et un ajusteur-fraiseur, puis barman et commercial,
devenu cadre sup sur le tard. 4 sur 51 seulement ne sont pas des
prolétaires (13). Notons aussi que 23 d'entre eux avaient déjà été
condamnés auparavant pour diverses infractions dont 6 sur des violences
sur leur conjointe. Pas vraiment comme «tout le monde»...
Alors, pourquoi cette écrasante majorité de prolétaires parmi les
accusés? Les cadres, petits et grands bourgeois sont-ils tout simplement
absents parmi les violeurs de Gisèle Pélicot, y compris parmi ceux
repérés sur les vidéos mais non identifiés formellement? Ont-ils réussi
à violer en ne se faisant pas filmer par Dominique Pélicot? La justice
et la police ont-elles été moins attentives à leurs cas? Ou bien, plus
probable, fréquentent-ils d'autres sites, canaux et réseaux que «Coco»,
pour assouvir leurs fantasmes violents de domination des femmes? Car on
le sait, il y a tout autant de violeurs parmi les puissants que les
dominés, et les premiers peuvent parader dans les médias et les salons
mondains sans risquer grand-chose (PPDA, Darmanin, Depardieu, DSK...),
tandis que la justice de classe saura trouver une solution pénale pour
enfoncer les seconds.
#NotAllMen? et les contradictions de l' «allié»
À rebours de l'idée de «M. Tout-le-monde», qui insiste sur
l'omniprésence des violences faites aux femmes dans la société, on a
beaucoup entendu un discours de désolidarisation scandalisée de la part
de nombre d'hommes (le fameux «tous les hommes ne sont pas comme ça» en
vogue dans les milieux masculinistes, popularisé sur les réseaux sociaux
en #NotAllMen, puis tourné en ridicule par des féministes sous forme de
meme internet). Ce discours refuse de voir le continuum de domination
que représente le patriarcat, et donc de faire le lien entre des
comportements sexistes et le viol, pôle extrême de la domination
masculine. Pour Francis Dupuis-Déri, spécialiste de l'antiféminisme à
l'université du Québec, «Dire "Not All Men", c'est éclipser un fait
solide: si tous les hommes ne sont pas des violeurs, quasiment toutes
les femmes ont peur et ont vécu de la violence sexuelle. (14)»
Dans cette lignée, une tribune, écrite par Morgan N. Lucas, «essayiste,
spécialiste des questions de genre», signée par plus de 200
«personnalités masculines» et publiée dans Libération (15), a beaucoup
fait parler d'elle. Celle-ci cherche à se saisir du procès des viols de
Mazan pour associer les hommes à la lutte contre les violences faites
aux femmes, sans pour autant «jouer les héros». Une réaction des hommes,
pour s'emparer de la question féministe, refuser l'assignation genrée
qui fait d'eux des dominants et diffuser aux autres hommes les idées
féministes paraît une idée pertinente. Pourtant, cette tribune, une des
rares initiatives de ce genre dans la période, nous semble engluée dans
des contradictions.
Elle affirme que «puisque nous sommes tous le problème, nous pouvons
tous faire partie de la solution» mais qu'il faut que les hommes
arrêtent «de se croire indispensables». Qu'«il n'y a pas de nature
dominante mais bien une volonté de dominer», et pourtant que «tous les
hommes, sans exception, bénéficient d'un système qui domine les femmes».
Elle demande aux hommes de ne pas attendre «qu'une femme nous dise quoi
faire pour nous mettre au travail», et donc d'agir de façon autonome,
tout en se cantonnant à la posture d'«allié», et enfin de faire «tout
ceci en silence, sans le crier sur tous les toits, sans attendre des
applaudissements ou des félicitations», tout en publiant eux-mêmes une
tribune dans... Libération!
La tribune résume très bien les non-dits de la posture d'«allié», en
vogue dans les milieux où on considère que seuls peuvent lutter contre
une domination les «premiers concernés», et que des personnes voulant se
joindre à la lutte doivent abandonner tout esprit autonome d'initiative,
rester en retrait, venir seulement quand, comment et où on le leur
demande, car non seulement ceux-ci ne seraient pas concernés (pourtant,
le racisme n'est-il pas révoltant, quelle que soit notre couleur de
peau?), mais ils seraient forcément le vecteur d'une reproduction des
dominations au sein de la lutte (car Blancs, hommes, valides...), alors
même qu'ils peuvent faire partie d'une lutte pour la supprimer. Que des
oppressions puissent exister au sein des luttes, c'est une évidence.
Qu'il faille lutter contre, tout autant. Mais que cela soit un
présupposé, par l'identité de la personne «alliée» et non pas ce qu'elle
dit ou fait, constitue un renversement logique qui renforce les logiques
de séparation, là où la lutte devrait justement viser à les faire reculer.
Enfin, la posture d'«allié», dans le cas de cette tribune, masque une
réalité pourtant indispensable à considérer si on veut sérieusement se
débarrasser du patriarcat: il affecte aussi les hommes. Cela paraîtra
révoltant à beaucoup de le souligner, car les hommes ne sont pas
concernés par les salaires plus bas, les viols, etc., mais si l'on
cherche à lutter ensemble, femmes et hommes, comme le proposent les
auteurs de la tribune, il faut chercher ce qui rassemble plutôt que ce
qui divise. Alors, complétons cette tribune en le disant: les hommes
n'ont pas que des «privilèges», et certains, comme les gays, ne sont
clairement pas sur un pied d'égalité. Les hommes n'ont rien à gagner à
l'injonction à la virilité qui empêche d'exprimer leurs émotions, aux
concours de quéquettes, à l'apprentissage violent de la masculinité, à
(sur)crever de comportements masculins (au volant ou d'alcoolisme), à la
santé mentale détériorée que le patriarcat provoque chez eux (16). Sans
nier la responsabilité des hommes, «la souffrance vécue par les hommes
peut servir de catalyseur pour attirer l'attention sur la nécessité du
changement (17)».
En guise de conclusion
Le patriarcat ne flotte pas dans les airs comme une domination
interpersonnelle diffuse. Il a pour base l'appropriation du corps des
femmes, et ce, très probablement depuis que notre espèce existe (18). Si
des hommes se sont sentis légitimes pour violer une femme inconsciente,
c'est qu'ils sont le produit d'un système qui les y autorise (et parfois
de facteurs sociaux qui favorisent le passage à l'acte), celui-ci
considérant le corps des femmes comme à la disposition des hommes. Entre
le mari qui viole sa femme, et la main au cul dans la rue, en passant
par la cour de récré quasi exclusivement dédiée aux matchs de foot des
garçons, un continuum patriarcal qui relègue le corps des femmes au
second plan s'exerce. Mais dans ce système, il n'y a pas que des
victimes. Ce serait nier tout libre arbitre que de s'arrêter à un
système déresponsabilisant.
La construction d'une lutte antipatriarcale et anticapitaliste repose
sur une volonté consciente des hommes et des femmes de changer les bases
de la société. Comme le dit Gisèle Pélicot: «J'exprime ma détermination
à ce qu'on change cette société. Ce n'est pas du courage, c'est de la
volonté.» Dans ce combat, les hommes ont toute leur place. Les hommes ne
doivent pas s'auto-flageller avec leurs «privilèges», mais, d'après
Francis Dupuis-Déri, prendre la responsabilité de «réfléchir à la part
problématique qui existe en chacun de nous, qui est liée à la
socialisation masculine dans laquelle on a baigné et qui fabrique des
rapports problématiques avec les femmes. On n'est pas de pures
marionnettes manipulées, on a une capacité d'action». Pour conclure,
avec Virginie Despentes, «il ne s'agit pas d'opposer les petits
avantages des femmes aux petits acquis des hommes, mais bien de tout
foutre en l'air. (19)»
zyg,
avec un coup de main de Jolan,
janvier 2025
Notes
(1) Affaire Mazan, guets-apens homophobes... le fondateur du site Coco
mis en examen, Mediapart, 11 janvier 2025. L'article relate aussi des
faits de pédocriminalité et de proxénétisme
(2) On pense en comparaison à l'écho bruyant et nauséabond qui avait été
fait autour du meurtre de Philippine le Noir de Carlan, étudiante violée
et tuée dans le bois de Boulogne en septembre 2024, et dont le violeur
soupçonné est un marocain visé par une OQTF
(3) Les statistiques sur les viols le montrent: les viols sont rarement
«spontanés», sont commis le plus souvent par des personnes de
l'entourage ayant un ascendant sur la victime et par des hommes avec un
profil psychologique égocentrique voire narcissique...
(4) Elisabeth Roudinesco: «Dominique Pelicot et ses coaccusés ne sont
pas des hommes ordinaires», Le Monde, 6 novembre 2024. Pour une approche
sociale et psychologique des facteurs de vulnérabilité associés au
passage à l'acte de violence sexuelle, voir le site internet du Centre
Ressources pour les Intervenants auprès des Auteurs de Violences
Sexuelles (CRIAVS) du Centre-Val de Loire (CVL), notamment l'Approche
clinique des violences sexuelles de Robert Courtois, Professeur des
Universités (psychopathologie et psychologie clinique)
(5) Même si une étude contemporaine sur la perception des relations
entre sexes montre une hausse des idées sexistes chez les jeunes hommes:
Rapport - 6ème état des lieux du sexisme en France: s'attaquer aux
racines du sexisme, Haut conseil à l'égalité entre les hommes et les
femmes, 22 janvier 2024
(6) Viols de Mazan: un procès historique, et maintenant?, sur le site de
Révolution Permanente, 19 décembre 2024
(7) Voir l'article Des violences faites aux femmes à la violence des
femmes?, Courant Alternatif 310, mai 2021, à propos du livre La Terreur
féministe - petit éloge du féminisme extrémiste de Irene (Divergences,
2021), ou Faire justice, Moralisme progressiste et pratiques punitives
dans la lutte contre les violences sexistes d'Elsa Deck Marsault (La
Fabrique, 2023)
(8) Voir l'article Un féminisme florissant mais un patriarcat en pleine
santé, Courant Alternatif 314, novembre 2021
(9) En juillet 2016, cinq hommes se surnommant sur WhatsApp «La Manada»,
en espagnol, violent collectivement une jeune femme de 18 ans et filment
la scène dans les rues de Pampelune, où ont alors lieu les fêtes de San
Fermín. Les hommes sont arrêtés et jugés, mais en 2018, le tribunal
décide de ne pas retenir la qualification d'«agression sexuelle»
(recouvrant alors le viol en Espagne) pour ne retenir que celle d' «abus
sexuel». Cette décision provoque alors une indignation très forte dans
le pays, notamment des mouvements féministes, et entraîne de fortes
mobilisations. La Cour Suprême espagnole requalifie l'affaire en viol en
2019.
(10) Voir la série d'émissions Féminisme, l'avant-garde espagnole sur
France Culture
(11) Huit semaines dans le «marécage» du procès des viols de Mazan: les
chroniqueurs judiciaires du «Monde» racontent, Le Monde, 20 novembre 2024
(12) Qui sont les 51 condamnés au procès des viols de Mazan?, Le Monde,
25 novembre 2024 et Affaire des viols de Mazan sur Wikipédia
(13) Parmi les accusés, on note aussi d'autres situations très
représentées: la consommation addictive d'alcool et de stupéfiants et
les ruptures amoureuses, qui sont d'autres «facteurs de vulnérabilité»
(14) «Est-ce que je fais partie du problème?»: comment le procès des
viols de Mazan suscite introspection et division chez les hommes, Le
Monde, 19 novembre 2024
(15) Procès des viols de Mazan: plus de 200 hommes signent une feuille
de route contre la domination masculine, Libération, 21 septembre 2024
(16) Pour un inventaire plus détaillé de ce que le patriarcat fait aux
hommes, son apprentissage, et des perspectives pour en sortir, voir Les
couilles sur la table, Victoire Tuaillon, Binge Audio Éditions, 2019
(17) bell hooks, De la marge au centre: théorie féministe, Cambourakis, 2017
(18) Les sociétés passées, préhistoriques, ne sont pas le reflet d'un
Eden perdu, exemptes de domination masculine, de division du travail, de
violence. Cf à ce sujet Le communisme primitif n'est plus ce qu'il
était, Christophe Darmangeat (2012), Smolny. On trouvera aussi utile la
recension de la répartition du mythe du matriarcat primitif
(justification pour une société donnée d'un système de domination
masculine par le retournement d'une hypothétique situation inverse de
domination féminine antérieure), dont la présence atteste que les
sociétés humaines portent des traces culturelles de la domination
masculine depuis au moins 70 000 ans, âge vers lequel Homo sapiens est
sorti d'Afrique, dans Cosmogonies, Julien d'Huy (2020), La Découverte
(19) King Kong Théorie
https://oclibertaire.lautre.net/spip.php?article4362
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