A - I n f o s

Une agence d'actualités par pour et au sujet des anars ** .
Informations dans toutes les langues
Les 30 derniers messages (accueil) Messages des deux dernières semaines Nos archives des anciens messages

Les 100 derniers messages selon la langue
Greek_ 中文 Chinese_ Castellano_ Catalan_ Deutsch_ Nederlands_ English_ Francais_ Italiano_ Portugues_ Russkyi_ Suomi_ Svenska_ Türkçe_ _The.Supplement

Premières lignes des dix derniers messages
Greek_ Chinese_ Castellano_ Catalan_ Deutsch_ Nederlands_ English_ Francais_ Italiano_ Polski_ Portugues_ Russkyi_ Suomi_ Svenska_ Türkçe
Premières lignes des dix derniers messages
Premières lignes des messages des dernières 24 heures

Premières lignes des messages des dernière last 30 days | of 2002 | of 2003 | of 2004 | of 2005 | of 2006 | of 2007 | of 2008 | of 2009 | of 2010 | of 2011 | of 2012 | of 2013 | of 2014 | of 2015 | of 2016 | of 2017 | of 2018 | of 2019 | of 2020 | of 2021 | of 2022 | of 2023 | of 2024 | of 2025

(fr) Courant Alternative #347 (OCL) - La dépolitisation a tué le Lycée Autogéré de Paris

Date Thu, 13 Feb 2025 17:41:50 +0000


Le lycée autogéré existait depuis 1982. Un projet de transformer l'école, avec l'idée de fonctionner sans hiérarchie, en élaborant une pédagogie qui soit pensée collectivement. En 81, avec l'arrivée des «socialistes» au pouvoir, quatre projets de lycées expérimentaux voient le jour. Savary, ministre de l'éducation de l'époque, donne le feu vert à Gabriel Cohn-bendit, le frère de Daniel et à bien d'autres du coté de Saint-Nazaire, à Jean Levy et à d'autres du côté de Paris et aussi du côté d'Hérouville-Saint-Clair et d'Oléron. Ces quatre structures ouvrent avec des effectifs plutôt petits, entre 150 à 250 élèves inscrits et entre quinze et vingt-cinq profs par établissement. ---- Ces lycées expérimentaux sont malheureusement restés des exceptions, les différents ministres qui se sont succédé se sont opposés à les développer sur au moins toutes les académies. Les trois autres fonctionnent toujours, malheureusement le LAP, lycée autogéré de Paris, a été achevé par le pouvoir rectoral sous l'égide du ministère et par un certain nombre de dissensions internes. Le LAP a fait place au LIP, lycée innovant de Paris. Cette expérience du LAP a réussi à ouvrir des possibilités à des milliers d'élèves, rejetés ou inadaptés au système scolaire traditionnel, de trouver une place pour avancer. Le LAP était à la fois un lieu d'étude, ou l'on pouvait questionner les savoirs, les pratiques, mais était aussi un lieu de vie où on faisait à manger, pratiquait des activités, faisait le ménage... Beaucoup de jeunes, qui avaient été massacrés dans le système scolaire classique, pouvaient arriver, se poser, prendre le temps, exprimer leurs doutes. La cadence infernale des bahuts classiques n'était pas imposée, le rythme de chacun et sa parole respectés.

Le LAP n'avait pas grand chose à voir avec le lycée que nous connaissons tous majoritairement; les profs étaient cooptés par l'équipe, pas de proviseur institué, pas de hiérarchie, pas de note sur Pronote ou ailleurs, liberté de fréquentation donc pas de sms envoyé aux parents, pas de sanction mais des discussions, des activités élaborées en commun... Un fonctionnement en rupture avec tout ce qui fait tenir le système carotte/bâton scolaire. Beaucoup ont pu trouver une place et des perspectives alors qu'ils arrivaient bien souvent avec des idées noires, destructrices. Ils disaient: «le LAP m'a sauvé». C'est la raison principale qui fait que la fin du LAP est une catastrophe, c'était un lieu unique sur l'Île-de-France.

L'attaque a été purement idéologique de la part du rectorat, le LAP n'a pas été fermé mais son fondement aboli: finie l'autogestion. La cooptation, c'est fini. La libre fréquentation, les notes, les prises de décisions en Assemblée générale, c'est fini. Tout ce qui faisait concrètement le socle incontournable du LAP n'est plus.

Pour mieux comprendre, nous nous sommes rendus devant le rectorat le 14 mai 2024, et avons interviewé un prof qui venait soutenir Pascal qui passait en conseil de discipline. (1)

Ça faisait un moment que la hiérarchie voulait se débarrasser du LAP, et il se trouve que l'année dernière une importante crise en interne a créé une scission dans l'équipe à propos d'accusations portées contre un enseignant pour des comportements de l'ordre de violences sexistes et sexuelles, consistant principalement en blagues déplacées envers les élèves. La scission portait sur la manière de réagir. Une majorité de l'équipe pensait qu'il fallait régler la question en interne. Une autre partie, minoritaire, voulait en référer à la hiérarchie et a pris sur elle de le faire. Le ministère qui n'attendait que ça a saisi cette opportunité pour faire une enquête administrative. Trois inspecteurs généraux ont convoqué 70 personnes en sélectionnant en particulier ceux et celles qui avaient fait remonter des accusations. Parents, élèves, enseignants ont envoyé des lettres. Cette enquête n'a pas porté sur le problème de départ mais a cherché à accumuler des fautes individuelles qui attesteraient  de la dangerosité de cet endroit. Quatre collègues sur 25 sont suspendus pour manquements professionnels et deux placés en conseil de discipline. Celui-ci reproche à Pascal des propos vis-à- vis de collègues et d'avoir accompagné des élèves qui voulaient occuper le LAP lors du deuxième tour des élections présidentielles. Une bouteille de vin avait agrémenté leurs repas.

La plupart du temps, les accusations de Violence Sexiste et Sexuelle sont mises sous le tapis dans l'éducation nationale. Au LAP, certains élèves aux positions radicales et quelques professeurs qui sont sensibles à l'intersectionnalité ont fait monter la sauce à ne plus savoir qu'en faire. Ils ont refusé la discussion. Nos questions étaient considérées comme de la complaisance, de la complicité avec l'agresseur. A partir du moment où il y a accusation, il faut épurer, faire partir la personne en cause. Aucun débat n'était possible. La seule solution face aux proportions qu'avait prises l'affaire, qu'ils avaient eux même nourrie, leur a paru être le signalement au rectorat.

La CGT Educ'action était présente :

Nous défendons le projet du LAP. Nous nous opposons au démantèlement du lycée autogéré qui fonctionne depuis plus de quarante ans. L'attaque qui est menée contre les collègues est avant tout menée pour démanteler le LAP et ses fondements ; qui sont la cooptation qui consiste à choisir ses collègues pour créer un collectif cohérent porteur du même projet, l'autogestion et la libre fréquentation des élèves. A travers le LAP, c'est le système éducatif dans son ensemble qui est attaqué. Le LAP est un symbole intolérable en 2024, le rectorat et l'administration veulent mettre le nez dans la constitution des équipes, tout décider sans concertation. On est dans une logique actuellement de casse du statut, de remise en cause des organisations syndicales et des commissions statutaires qui permettaient de discuter avec l'administration ; tout ça vole en éclat. S'ils cassent la logique de cooptation, ils cassent le projet éducatif et pédagogique du LAP. Pour la libre fréquentation, on est dans une société hyper enrégimentée, avec le SNU, l'uniforme... c'est insupportable pour l'administration d'imaginer que les élèves puissent ne pas venir aux cours, en sachant que ce sont des élèves à profil particulier ; non, il faut savoir, mettre les gens dans des cases, savoir où ils sont, à quel moment, mettre des caméras ; voilà la société dans laquelle on est. A la CGT, on conteste que l'on ne puisse pas dans un établissement faire les choses autrement, voir les choses autrement, faire grandir les élèves autrement. Le LAP a aussi était attaqué sur la question des moyens ; il faudrait récupérer des milliards entre autres pour financer une guerre en Ukraine dont personne ne veut, et comme le gouvernement ne veut pas aller les chercher dans les poches du capital et bien on le prend dans les poches des services publics. Il s'agit également d'attaquer des individus en les isolant, c'est pourquoi nous sommes nombreux aujourd'hui devant le rectorat pour soutenir nos collègues.

Le syndicat SUD éducation n'a pas souhaité se prononcer.

Pascal, tu étais prof de math depuis vingt huit ans au LAP. Tu es passé en conseil de discipline et as été viré. Si, dans un premier temps, le LAP a pu servir de caution expérimentale, au fil du temps il est devenu un espace à fermer.

Il y a eu trois types de posture. Il y a ceux qui depuis le début sont des ennemis politiques qui étaient contre et qui disaient que l'école ne pouvait pas être un lieu où les profs et les élèves ne respectent pas la hiérarchie qui est la matrice de l'éducation républicaine. Il y a eu des personnes qui ont été des soutiens réels, qui ont défendu le projet et il y a eu une posture de façade, la fierté de mettre en avant cette diversité pédagogique mais sans mise en adéquation avec les moyens. Ce soutien a clairement disparu depuis 2019-2020 ; pour ceux-là, le LAP ne pouvait plus être une solution pour les jeunes qui vont mal, l'hostilité n'a fait que grandir au fur et à mesure des années. En 2022, la convention qui encadrait le fonctionnement du LAP arrivait à échéance. On nous a fait traîner presque un an en nous disant de réécrire nous-mêmes la nouvelle convention, mais qui n'allait jamais sans qu'on nous dise pourquoi.

Ils attendaient le moment pour en finir. Quel a été l'élément déclencheur ? On a entendu parler de gestes et paroles déplacés, de prosélytisme libertaire, ça c'était pour toi. Quels sont les faits ?

Début janvier 2023, pour la première fois, un principe est remis en question ; des élèves décident de faire une AG interdite aux profs, alors que les Assemblées Générales sont ouvertes à tout le monde, depuis toujours. On a été les voir : si vous avez des chose à dire, il faut pouvoir en parler ensemble, ce n'est pas possible qu'une partie soit écartée de la discussion en fonction de sa catégorie. Entre profs, nous n'étions pas tous d'accord alors que c'était un principe fort de fonctionnement au lycée : tout lieu est ouvert à tous et à toutes. Lors de cette réunion, des élèves ont accusé un prof, avant tout, de tenir des propos sexistes inacceptables ; il disait ma puce, ma chérie. Ils voulaient faire une enquête pour savoir s'il n'y avait pas d'autres choses derrière et incitaient tous les élèves, qui auraient des choses à dire contre lui, à le faire. D'autres accusations arrivent : il serait rentré dans les vestiaires et aurait touché les fesses d'une élève pour la  rattraper lors d'un exercice d'escalade. Ils se demandaient quoi en faire et un certain nombre d'élèves qui se réclament du féminisme radical pensaient qu'il fallait sanctionner, qu'il fallait qu'il dégage, qu'il soit exclu. Pour exclure un prof, il faut en faire part au rectorat. La dissension c'était qu'on ne va pas régler les choses avec le rectorat car, pour moi, soit ils vont étouffer l'histoire soit ils ne vont pas être aidants.

L'autogestion, c'est trouver des solutions aux questions, aux problèmes d'abord en AG. Ne pas toujours en référer au pouvoir, ce qui le légitime. Et aussi penser les réponses au delà de la sanction, de la peine, de la punition.

Je partage cette idée et qu'au maximum nous soyons notre recours et que ce soit analysé de l'intérieur. Je n'exclus pas qu'à des moments il y ait des personnes qui viennent de l'extérieur, mais pas de manière hiérarchique. A partir du moment où le clivage a été établi qui consiste à dire que, s' il y a violence sexiste, il est hors de question de la laisser passer et qu'il faut que la hiérarchie réagisse, on ne pouvait plus s'entendre, discuter. Une minorité de profs a décidé de faire remonter l'affaire au rectorat, contre l'avis du collectif. Pendant des mois, il ne s'est rien passé et il y avait une tension pas possible dans le lycée. Certains ont perdu complètement la raison ; des lettres de dénonciations continuaient à être envoyées. Un truc complètement impensable en milieu autogestionnaire, anti-autoritaire. On l'a su longtemps après, quand il y a eu les conseils de discipline, on a eu accès au dossier, on se serait cru en Allemagne de l'est dans les années 50-60 quand ils ont ouvert les archives. Les parents voyant le désarroi de leurs enfants, pris dans ce tourbillon, ont voulu s'en mêler, ont voulu comprendre, ce qui n'est pas une habitude au LAP. Ils ont écrit des lettres sur des profs qu'ils n'avaient jamais vus. J'aurais dit que le Bac ne servait qu'a faire rentrer des moutons dans des boîtes. Même si j'ai des critiques à formuler sur le Bac, cette phrase absurde n'est pas de moi. Le seul fait précis, c'est que j'ai accompagné une soirée d'occupation au lendemain du premier tour des élections de 2022 avec Le Pen au second tour. C'est un des profs qui avait soutenu l'action et qui avait écrit «bonne soirée de lutte » qui, un an après, va trouver ça scandaleux et le dénoncer. Y'a même eu deux discussions au conseil de la mairie de Paris où des élus LR et Macronistes qui avaient eu des notes de la part du rectorat, ont dit qu'il y a des agressions scandaleuses au LAP.

Les termes employés par le prof sont déplacés, ce qui aurait pu être géré en interne, à mon avis ; ils me paraissent avoir été montés en épingle par des gens qui ne savent pas ce que c'est que la violence. Comme si le moindre problème absorbe tout le malaise et sert de catalyseur, ce qui empêche de chercher les véritables causes de celui-ci. S'appuyer sur des faits précis permet d'avoir une base commune d'échanges, alors que le ressenti est individuel et intransmissible!

A partir du moment où les termes de violence ou d'agression sont employés, où la personne se dit victime et les qualifie comme tels, ça enlève beaucoup du référent collectif. Comment remettre en cause un ressenti, on ne peut même pas en parler. Des qualificatifs ultra forts sont dits, alors que pour d'autres c'est insignifiant. Là, j'en parle avec du recul, mais en AG, tu es tout de suite suspecté de minorer la gravité de ce qui s'est passé, tu deviens un salaud. La discussion n'est pas possible. Les mots sont mixés à la sauce individuelle. Il a été impossible de nommer les faits, de définir de quoi on parle et donc de trouver des solutions ensemble.

Tu as été accusé de prosélytisme libertaire ?

Ça a beaucoup fait rire les anciens élèves. Tout ce qui a pu servir de grain à moudre au rectorat a été utilisé : on était un repaire anarchiste, on faisait du prosélytisme... Lorsqu'ils ont eu suffisamment de lettres de dénonciation, ils ont décidé de déclencher une enquête administrative.

Au delà de ton cas individuel qui doit être particulièrement difficile à vivre, c'est la mort d'une structure, la fin d'une expérience qui sauvait des milliers de jeunes qui est à déplorer, surtout quand on voit les raisons qui ont servi à détruire ce projet.

C'est dur à encaisser, on a été une bonne dizaine à avoir été dégagés sans aucun égard évidemment. Certains se retrouvent à démissionner de l'éducation nationale. Pour les élèves, c'est super dur aussi ; soit ils restent au LIP, soit ils doivent trouver une place ailleurs, mais quel ailleurs ? C'est un non choix pour les élèves et c'est super dur pour les futures générations d'élèves qui n'auront plus ce petit espace qui a permis à plein de jeunes de trouver une place. Pour moi, c'est ça le pire. C'est une victoire politique pour le pouvoir donc une défaite pour nous. Nous avions un lieu qui n'était pas à la hauteur en terme d'ampleur, mais qui pouvait servir de contre-modèle, questionner l'école par la pratique. Le premier niveau d'analyse c'est, évidemment, ok c'est dégueulasse de voir que le pouvoir nous a massacrés et peut rayer le mot autogestion, mais il faut aussi qu'on analyse plus finement ce qui a fait qu'on s'est laissé massacrer. Je ne veux pas être dans le défaitisme, mais c'est vrai que depuis longtemps on perd beaucoup et on gagne peu. Y'a plein de lieux alternatifs qui se font fermer dans la santé, dans l'éducation. La leçon que l'on peut en tirer c'est que notre force c'est d'être ensemble, de défendre nos outils de manière horizontale, c'est ce qui a fait qu'on a tenu si longtemps.

C'est intéressant de voir des gens qui parlent de démocratie et de défense des minorités prendre le pouvoir en tant que telles et imposer aux autres leurs visions des choses en pensant qu'ils ont raison, qu'ils et elles détiennent La vérité. Ils mettent en avant leur ressenti comme faits établis indiscutables. L'émotion devient un argument incontestable. Une minorité peut ainsi imposer sa volonté au nom d'une supposée gravité invérifiable. En se focalisant sur une partie des problématiques, ils oublient ce qu'ils vont perdre et font perdre aux autres.

Nadia M, le 13 janvier

Note
1- Vous pouvez écouter l'émission "La dépolitisation a tué le LAP" du 24 11 04 sur actualitédesluttes.info

https://oclibertaire.lautre.net/spip.php?article4369
_________________________________________________
A - I n f o s
informations par, pour, et au sujet des anarchistes
Send news reports to A-infos-fr mailing list
A-infos-fr@ainfos.ca
Subscribe/Unsubscribe https://ainfos.ca/mailman/listinfo/a-infos-fr
Archive: http://ainfos.ca/fr