A-Infos (fr) Monde Libertaire - Des idées et des luttes: Les histoires d'Elisée Reclus

De ruisseau en montagne ---- Nous, dans l'émission Au fil des pages sur 
Radio libertaire, nous aimons bien Elisée Reclus. Nous en parlons depuis 
longtemps. Et cela n'a rien à voir avec l'engouement que celui-ci 
connaît depuis quelques temps. Récemment, nous avions invité Nicolas 
Eprendre du comité éditorial avec Pauline Couteau, Federico Ferretti, 
Philippe Pelletier de l'ouvrage Elisée Reclus, les 101 mots, publié à 
l'automne 2024 aux éditions Les presses du réel. Aujourd'hui, je voudrai 
insister sur Les histoires d'Elisée Reclus de Benoît Bodlet aux Presses 
universitaires de Lyon, en 2024 également. Deux ouvrages 
complémentaires. ---- Nous connaissons évidement La Nouvelle géographie 
universelle, L'Homme et la terre, des sommes en plusieurs volumes. Mais 
Benoît Bodlet nous propose une réflexion sur Histoire d'un ruisseau 
(1869) et Histoire d'une montagne (1890), deux ouvrages au volume plus 
réduit et au contenu plus accessible, destinés à un jeune public. Dans 
un style littéraire d'une belle qualité. A noter que la rédaction du 
second fut retardée en raison de la Commune de Paris et de 
l'emprisonnement d'Elisée. Il s'agit bien de traités géographiques qui 
démontrent ses talents de géographe, de pédagogue. De surcroît, dès 
1874, il s'affiche clairement comme anarchiste et apporte des éléments 
théoriques pertinents. Lors de son exil en Suisse, il vit dans un milieu 
communard avec James Guillaume, Arthur Arnould, Gustave Courbet. Il 
anime une section de la Fédération jurassienne. En 1877, à Saint-Imier, 
il évoque «l'anarchie[...], cet horizon de liberté que nous voulons pour 
la société humaine». Il s'investit dans une revue socialiste 
révolutionnaire, Le Travailleur. D'autres vont venir comme Pierre 
Kropotkine avec Le Révolté.

Le partage démocratique du savoir

Le pédagogue est fondamental dans la vie d'Elisée Reclus avec le souci 
du partage démocratique du savoir autour de deux composantes de sa 
pensée: divulgation scientifique et émancipation. Benoît Bodlet rappelle 
que «le savoir est un catalyseur d'émancipation et celle-ci est centrale 
dans le projet libertaire». Joël Cornuault explique qu'Histoire d'une 
montagne, «qui n'a rien d'un libelle ouvertement anarchiste[...]laisse 
malgré tout entendre en sourdine la note libertaire de l'homme fier de 
s'appartenir, citoyen solidaire d'une république indépendante». Mettons 
en relief «le dernier chapitre d'Histoire d'une montagne qui se conclut 
sur l'espérance que l'homme libre puisse se défaire de l'emprise des 
dieux qui, en partant, emmènent avec eux le cortège des rois et leurs 
tristes représentants sur la terre».

Benoît Bodlet entend rappeler le contexte de la rédaction des deux 
ouvrages en analysant les rééditions, les approches d'auteurs qui 
tendent à faire passer Elisée Reclus de géographe libertaire à écolo 
romantique. Un chapitre dense concerne l'éducation et l'enseignement de 
la géographie, un enseignement du regard, la leçon de choses qui fait 
songer à la pédagogie de Louise Michel. Le style reclusien parfois 
critiqué doit être revisité pour en apprécier la clarté. Un dernier 
chapitre concerne le nouvel espace social et politique avec l'image du 
ravin et son ouverture. N'oublions pas cette notion de géohistoire qui 
rend si vivant l'enseignement de la géographie.

Proposer un nouvel espace politique

L'objectif de Reclus insiste au fil des pages sur «l'émancipation de 
tous les êtres vivants sans distinction» et l'entraide que nous 
retrouvons chez Kropotkine.

Reprenons les propos de Benoît Bodlet. «En résumé, nous tenterons de 
répondre à cette question: comment et, plus précisément, par quels 
moyens littéraires, Elisée Reclus dénonce-t-il les formes spatiales du 
pouvoir et la dimension spatiale de l'injustice dans Histoire d'un 
ruisseau et Histoire d'une montagne afin de proposer un nouvel espace 
politique?»

Un trait de caractère d'Elisée Reclus me paraît particulièrement digne 
d'être noté: son rejet des escaladeurs en alpinisme qui montent par 
amour de la gloriole. «Par analogie, il faut refuser de parvenir au 
sommet de la société, en rejetant la compétition, les échelons et le 
pouvoir». Et pour conclure, un clin d'oeil de la part d'Elisée Reclus, à 
nos amis randonneurs: «Je savourais le plaisir de satisfaire 
complètement mes regards à la vue de ce que neiges, rochers, forêts et 
pâturages m'offraient de beau. Je planais à mi-hauteur, entre les deux 
zones de la terre et du ciel, et je me sentais libre sans être isolé. 
Nulle part un plus doux sentiment de paix ne pénétrait mon coeur».

* Benoît Bodlet
Les histoires d'Elisée Reclus, divulgation scientifique et émancipation
Ed. Presses universitaires de Lyon, 2024

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