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(fr) Courant Alternative #346 (OCL) - Nouvelle-Caledonie: L'indépendance du territoire sous l'étouffoir de sa «reconstruction»
Date
Sat, 25 Jan 2025 19:04:55 +0000
Depuis trois mois, les va-et-vient de responsables politiques s'étaient
multipliés entre la métropole et l'archipel: des délégations du Congrès
ou du gouvernement local recherchaient les financements permettant le
redémarrage économique de la Nouvelle-Calédonie après les émeutes de la
mi-mai; des représentant-e-s de l'Etat ou du Parlement voulaient
vérifier sur place la nécessité de tels financements. Les négociations
concernant l'avenir du territoire étaient de nouveau à l'ordre du jour,
et, leur clôture étant annoncée pour la fin 2025, les indépendantistes
se préparaient activement à y participer. Et puis le 4 décembre,
l'Assemblée nationale a voté la motion de censure contre le budget 2025
concocté par le Premier ministre Barnier et, patatras, celui-ci a
chuté... ---- La disparition au printemps dernier de très nombreux
établissements, tant privés que publics, a eu des effets boule de neige
sur la vie dans l'archipel en général (1). Des reportages ont rapidement
montré les pénuries alimentaires liées aux pillages et aux incendies de
commerces, mais ce sont en fait tous les secteurs économiques et
l'organisation politique et sociale qui ont été chamboulés - et ils le
sont toujours. Exemples: la mise au chômage partiel de très nombreux
salarié-e-s a entraîné une hausse des loyers impayés et des départs de
Nouméa pour s'installer dans des endroits moins onéreux de l'archipel;
la perte de rentrées fiscales a mis le gouvernement local dans
l'impossibilité de régler les prestations sociales, les retraites ou les
salaires des fonctionnaires, et les communes dans l'incapacité de payer
leurs employé-e-s, les cantines ou le ramassage scolaires.
Ces multiples problèmes économiques ont alimenté des polémiques à
répétition dans la classe politique, car ils ont accentué les désaccords
existants sur l'avenir du territoire. Des alliances se sont défaites,
d'autres sont apparues - que ce soit entre indépendantistes et
anti-indépendantistes ou au sein de ces deux camps. Leur longévité est
cependant loin d'être assurée, étant donné le caractère assez fluctuant
des ententes entre les formations politiques calédoniennes.
Les institutions locales étaient, avant les émeutes, dirigées par des
figures des deux principales organisations indépendantistes au sein du
FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste): Roch Wamytan,
membre de l'Union calédonienne (UC), présidait le Congrès depuis 2019;
Louis Mapou, membre du Palika, a été nommé chef du gouvernement
collégial (2) en 2021. Mais le 29 aout 2024, un vote de coalition a
remplacé Wamytan par Veylma Falaeo, élue de l'Eveil océanien (un parti
présenté comme la «troisième voie» entre les deux camps), ce qui a
fragilisé le gouvernement puisque celui-ci est censé être l'émanation du
Congrès.
De plus, deux plans visant la «reconstruction» du pays ont vu le jour à
la fin aout: l'un émane de la droite modérée, mais il a été voté à la
quasi-unanimité par le Congrès (3) et il est appuyé par le patronat;
l'autre (appelé plan de sauvegarde, de refondation et de reconstruction,
PS2R), a été préparé par le gouvernement local avec le soutien du
haut-commissaire de la République, représentant de l'Etat français.
Cependant, les deux plans ont pour destinataire ce même Etat. Toutes les
formations politiques suivent en effet une démarche identique: quémander
auprès de lui de fort conséquentes subventions (on raisonne ici en
milliards d'euros) pour éviter la faillite à très court terme du système
économique et social calédonien (on raisonne ici en termes de mois). Or,
le gouvernement français promet essentiellement des prêts - non
seulement parce que l'état de ses finances au niveau national limite ses
grandes largesses, mais aussi parce que c'est pour lui le meilleur moyen
de conserver l'archipel sous sa coupe (4).
++++
POUR QUE KANAKY SOIT UNE REALITE
En règle générale, c'est la dynamique des luttes qui donne leur pleine
consistance à leurs revendications, tandis que leurs porte-parole ont
tendance, dans les négociations, à atténuer ces revendications pour les
rendre acceptables par la partie adverse - d'où l'importance de pouvoir
contrôler les porte-parole par des mandats précis. En
Nouvelle-Calédonie, si depuis quatre décennies les Kanak suivent très
largement les consignes (de vote comme de mobilisation) données par des
partis se réclamant majoritairement du FLNKS, ces partis ont été
largement débordés lors des émeutes, et celles-ci ont mis sur le devant
de la scène une question sociale non réductible à un problème culturel.
Le drapeau à la flèche faîtière que brandissent tant de Kanak - quels
que soient leur âge et leur sexe - ne l'a pas été alors juste pour
réclamer le respect d'une identité.
En règle générale aussi, afin de séparer le bon grain de l'ivraie, les
porte-parole des luttes tendent à pratiquer des formes de dissociation à
l'égard des auteur-e-s d'actes violents accomplis dans leur cadre. Dès
le début des émeutes dans l'archipel, on a ainsi entendu des leaders
indépendantistes opérer une distinction entre émeutiers et militants,
voire entre membres de la CCAT et autres militants.
La «reconstruction» de la Nouvelle-Calédonie va aggraver la situation
des plus démuni-e-s, parmi lesquels on peut ranger la plupart des Kanak.
C'est pourquoi, en métropole, il est urgent d'exprimer une solidarité
active à leur égard sur des positions à la fois anticolonialistes et
anticapitalistes. La lutte indépendantiste a jusqu'ici été fort peu
relayée: petites manifestations du printemps (contre l'état d'urgence
décrété par le gouvernement dans l'archipel); petits rassemblements
estivaux (composés pour l'essentiel de Kanak) devant les prisons
renfermant des membres de la CCAT; quelques réunions de soutien. Une
fraction de la gauche au sens large affirme être pour l'«indépendance de
Kanaky», mais cela ne s'est guère traduit que par des tribunes ou
pétitions de personnalités sur Mediapart, des interviews d'ethnologues
et autres spécialistes de l'archipel sur les chaînes de Radio-France. De
plus, le discours tenu est trop souvent cantonné à une dénonciation de
la répression qui victimise les Kanak et au soutien de «bons»
responsables politiques pour s'occuper de leur sort. Appeler la
Nouvelle-Calédonie «Kanaky» reviendrait pourtant à avoir entretenu une
illusion, si le résultat des négociations sur un «accord global» était
une autonomie institutionnelle renforcée dans le cadre français,
accompagnée de moyens financiers également renforcés pour mieux
maintenir l'ordre, ou encore pour mieux «adapter» la jeunesse kanak aux
besoins du patronat calédonien.
++++
Intenses pourparlers avant les négociations sur un «accord global»
Des personnalités politiques calédoniennes ont effectué plusieurs
déplacements récents en métropole: délégations «transpartisanes» du
Congrès en septembre et décembre, délégation du gouvernement conduite
par Louis Mapou en novembre... De même, l'Etat français a envoyé en
Nouvelle-Calédonie diverses personnalités: François-Noël Buffet,
ministre des Outre-Mer (mi-octobre); les présidents de l'Assemblée
nationale et du Sénat, Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher (9-14 novembre)...
La Nouvelle-Calédonie avait déjà obtenu un soutien étatique de 770
millions d'euros pour 2025. Mapou a annoncé sur Franceinfo NC 1re, le 19
novembre, que Barnier allait proposer, dans le cadre de la loi de
finances 2025, une aide supplémentaire de 230 millions d'euros - ce qui
porterait «la garantie d'emprunt pour l'archipel à 1 milliard d'euros».
Les sollicitations incessantes de toutes les formations politiques
envers l'Etat français produisent un curieux phénomène: alors que les
derniers scrutins calédoniens (référendums sur l'autodétermination de
2018 et 2020, législatives de juillet 2024) ont indiqué une nette
progression du vote indépendantiste, la «reconstruction» de l'archipel
va accentuer sa dépendance par rapport à la métropole. Quand Pascal
Vittori, président de l'Association française des maires de
Nouvelle-Calédonie (non-indépendantiste), a affirmé le 21 novembre:
«Aujourd'hui, la seule entité capable de nous sauver, c'est l'Etat», il
a résumé le sentiment général des responsables politiques et patronaux
(5). On se trouve ainsi face à un scénario assez aberrant, et dont le
côté pervers ne doit pas manquer de ravir les cyniques au pouvoir: les
émeutes dont des médias «de gauche» avaient brièvement souligné le
caractère éminemment social (pour au moins les «expliquer») servent à
justifier à la fois les démarches de la classe politique calédonienne
auprès de l'Etat français et les mesures prises par son haut-commissaire
pour empêcher de nouvelles «exactions».
L'ordre public reste tellement fragile dans l'archipel que le couvre-feu
mis en place le 14 mai a été levé seulement le 2 décembre et que les
«verrous» gendarmesques bloquant la seule route vers le sud, au
Mont-Dore, sont encore réactivés par moments. L'énorme présence
policière et la répression judiciaire des émeutiers font l'objet de
critiques dans le camp indépendantiste, mais ses composantes
s'abstiennent de contester l'interdiction de manifester depuis sept mois
(jusqu'au 20 décembre?) et plusieurs d'entre elles ont exprimé le désir
que la vente d'alcool demeure limitée. Aucune n'est en effet en mesure
d'affronter militairement les forces de l'ordre ou d'«accompagner» une
seconde explosion sociale.
Ce constat vient démentir les accusations portées par le gouvernement à
l'encontre de la Cellule de coordination des actions de terrain pour la
criminaliser: dès la mi-mai, il a rendu responsable des «exactions» la
CCAT, qui avait été fondée en novembre 2023 à l'initiative de l'UC pour
mobiliser contre le «dégel» du corps électoral réservé aux scrutins sur
l'autodétermination (6); puis il a déporté en métropole sept de ses membres.
Evolution de la revendication indépendantiste
On le voit, l'enjeu de la «reconstruction» fonctionne comme un piège
pour rendre improbable la revendication d'une indépendance au sens
strict. Mais, à la vérité, les émeutes de la mi-mai ont constitué assez
clairement une réaction contre la «redéfinition» de cette revendication
depuis quatre décennies.
Dans les années 80, le FLNKS affirmait se battre pour l'«indépendance
kanak et socialiste» (IKS) - en rebaptisant à juste titre la
Nouvelle-Calédonie «Kanaky», autrement dit le pays du peuple autochtone
kanak. C'est dans cette optique que le président du FLNKS Jean-Marie
Tjibaou a signé les accords de Matignon-Oudinot en 1988: ils engageaient
l'archipel dans un processus d'autodétermination. Mais l'appellation
«Kanaky/Nouvelle-Calédonie» n'a pas tardé à être employée par des
leaders indépendantistes, tandis que la référence au «socialisme» était
enterrée avec la disparition du bloc de l'Est. Or, accoler
«Nouvelle-Calédonie» à «Kanaky» marquait déjà une volonté de maintenir
des relations «particulières» entre le territoire et la France.
Les accords de Matignon-Oudinot puis celui de Nouméa (conclu en 1998)
ont été l'oeuvre de gouvernements «socialistes» (Rocard puis Jospin),
mais en les promouvant le PS a en fait visé à conserver l'archipel dans
le giron de l'Etat français. Certes, ces accords ont permis de retarder
un vote sur l'indépendance que les Kanak auraient perdu parce que l'Etat
français les avait rendu-e-s minoritaires sur leur terre. L'idée avancée
à l'époque était qu'il fallait laisser agir le temps pour inverser le
rapport de force, en comptant notamment sur le poids de la natalité chez
les Kanak et sur le «gel» du corps électoral réservé aux référendums sur
l'autodétermination du territoire, ainsi que sur la pratique d'un
«vivre-ensemble» susceptible de convertir les anti-indépendantistes les
moins virulents aux vertus de l'indépendance. Surtout, en créant de
nouvelles institutions locales, les accords ont contribué à développer
une petite classe moyenne kanak qui appartient souvent à la fonction
publique et est assez favorable à un statu quo.
Au sein du FLNKS, l'UC et son allié le RDO (Rassemblement démocratique
océanien) se sont positionnés en faveur d'une
«indépendance-association»; le Palika et son allié l'UPM (Union
progressiste en Mélanésie) défendent depuis 2013 une
«indépendance-partenariat». Dans le camp adverse, des
anti-indépendantistes (du centre ou de la droite modérée) sont devenus
«non-indépendantistes», voire favorables à une «indépendance» en lien
avec la France.
Ces deux dernières décennies, le fossé entre la base et le sommet du
mouvement indépendantiste s'est creusé. L'apparition de la CCAT a
reflété une volonté de relancer la lutte pour l'indépendance alors que
le «dégel» du corps électoral menaçait de l'enterrer. Elle a été le
choix de militant-e-s appartenant à divers groupes indépendantistes qui
faisaient ou non partie du FLNKS. Le facteur déterminant des émeutes a
cependant sans doute été la forte migration des Kanak, au cours de ces
mêmes décennies, depuis leurs réserves vers l'agglomération de «Nouméa
le Blanche». 55 % des Kanak vivaient dans cette agglomération quand les
émeutes ont éclaté, précisément là; et les destructions commises l'ont
principalement été par une jeunesse kanak confrontée tant à une extrême
précarité qu'à des comportements racistes débridés.
Polémiques et restructurations dans le camp indépendantiste
Le FLNKS a toujours connu des querelles internes - au point de ne plus
avoir, de 2001 jusqu'en novembre dernier, qu'une direction tournante
assurée par ses quatre composantes historiques. Mais les émeutes ont
conduit le camp indépendantiste à opérer des clarifications politiques,
lors des derniers congrès du FLNKS, de l'UC et du Palika.
A son 43e congrès des 27-29 aout, le FLNKS s'est donné pour président
Christian Tein, un membre de la CCAT également commissaire général de
l'UC et qui est présentement emprisonné à Mulhouse sous divers chefs
d'inculpation; et le FLNKS a intégré des groupes indépendantistes tels
que le Parti travailliste, l'Union syndicale des travailleurs kanak et
des exploités (USTKE), le Mouvement des Océaniens indépendantistes... et
la CCAT. Ces deux décisions ont pu être interprétées comme une
«radicalisation» du Front, mais son congrès avait été boycotté par l'UPM
et le Palika; et, après la tenue de leurs propres congrès, ces deux
formations ont déclaré, respectivement les 14 et 15 novembre, se mettre
«en retrait» du FLNKS. Décryptage: elles n'auront plus de représentants
dans le bureau politique du Front sans pour autant en sortir, et c'est
sous la bannière de leur groupe au Congrès (l'UNI, Union nationale pour
l'indépendance) qu'elles participeront aux discussions concernant
l'avenir de l'archipel. Le 17 novembre, le porte-parole du Palika a
reproché au FLNKS «un populisme croissant qui entache[s]a crédibilité».
Ambiance.
De son côté, l'UC s'est réorganisée, lors de son 55e congrès (23-25
novembre), de façon à satisfaire modérés et radicaux. Emmanuel Tjibaou,
fils de Jean-Marie et député calédonien depuis juillet, a été élu à la
présidence du parti en obtenant («paraît-il», a dit la presse, qui
n'était pas invitée) 144 voix sur 198. Sa nomination a été saluée comme
un «renouvellement de la classe politique» souhaité. E. Tjibaou remplace
Daniel Goa, qui dirigeait l'UC depuis douze ans et qui, le 8 juin
dernier, avait promis une «proclamation unilatérale d'indépendance» pour
le 24 septembre - jour du 171e anniversaire de la colonisation et du 40e
anniversaire du FLNKS.
La mission d'E. Tjibaou est de «remobiliser la jeunesse» tout en
incarnant «un souffle nouveau» et «le dialogue». Sa personnalité rassure
à la fois les non-indépendantistes et le Palika ou l'UPM. Va-t-il pour
autant refaire l'unité dans le camp indépendantiste? Il a aussitôt
déclaré que l'UC conservait son objectif d'«accès à la pleine
souveraineté de Kanaky», puis parlé d'une «souveraineté partagée».
L'UC a précisé sa démarche dans une motion: les négociations seront
menées par le FLNKS (l'UC y sera donc), concernant non seulement
l'avenir du territoire mais aussi la «libération de nos prisonniers
politiques» - à savoir les membres de la CCAT incarcérés (l'UC a gardé
Christian Tein comme commissaire général du parti). Un «accord de
Kanaky» devra être signé au plus tard le 24 septembre 2025 (les
élections provinciales sont prévues le lendemain). Durant cinq ans, les
compétences régaliennes (7) et celles qui sont actuellement partagées
avec l'Etat seront transférées au «pays». Mais quand l'accession à la
pleine souveraineté sera effective, une nouvelle phase de négociations
s'ouvrira afin d'établir «des conventions d'interdépendances sur une
partie des compétences régaliennes». On est donc, semble-t-il, à peu
près sur le registre de l'«indépendance avec partenariat» que défendent
le Palika et l'UPM; de plus, la «souveraineté partagée» évoquée par E.
Tjibaou l'a aussi été par Gérard Larcher lors de sa venue dans
l'archipel, et on la trouve dans le préambule de l'accord de Nouméa.
Toutefois, a précisé E. Tjibaou, l'UC n'acceptera d'en discuter que
lorsque l'archipel sera définitivement indépendant, car «on ne peut
partager la souveraineté que si on y a d'abord accédé» (voir l'encadré
«Pour que Kanaky soit une réalité»).
Au sujet de la CCAT, E. Tjibaou a insisté sur la présomption d'innocence
dont ses militants doivent bénéficier («il faut attendre que la chose
soit jugée») et sur le fait que l'UC «n'a jamais appelé ni aux
destructions ni aux violences que l'on condamne». Il a indiqué que le
sénateur Robert Xowie (membre de l'UC et siégeant au Sénat avec les
communistes) porterait la proposition d'une commission d'enquête
parlementaire afin de «faire toute la lumière» sur les émeutes. Se
retrancher derrière l'impartialité des tribunaux ou la neutralité d'une
commission parlementaire constitue néanmoins une assez faible marque de
soutien à la CCAT. D'autant qu'E. Tjibaou a déclaré sur Franceinfo 1re,
le 25 novembre, que celle-ci restait un «outil important, notamment pour
mobiliser nos militants sur le terrain», mais qu'elle devait «être
encadrée et ses objectifs clarifiés».
++++
QUELQUES POURCENTAGES ANNONCIATEURS D'AUTRES «CRISES»
Le 29 septembre 2023, l'Institut de la statistique et des études
économiques (ISEE) estimait le niveau général des prix à la consommation
dans l'archipel, en 2022, 31 % plus élevé qu'en métropole (78 % pour les
produits alimentaires). Depuis, les prix de l'alimentation ont encore
connu une hausse d'environ 20 %, tandis que les quelques dispositifs
instaurés dans les outre-mers et la plupart des aides sociales
disparaissaient avec les émeutes.
Le 1er octobre 2024, le ticket de bus a augmenté de près de 70 % - et la
fréquentation de ce qui est le seul réseau de transport en commun
(emprunté quasi exclusivement par les personnes aux revenus les plus
faibles) a aussitôt diminué de 80 %.
++++
Positionnements chez les anti- et les non-indépendantistes
Les partis modérés non-indépendantistes qualifient de véritable
«désastre» ou de «cataclysme intégral» les choix faits par Macron de
maintenir en plein Covid le 3e référendum sur l'autodétermination (12
décembre 2021), ou de «dégeler» le corps électoral calédonien. Veylma
Falaeo, de l'Eveil océanien, pense qu'ils ont permis aux «extrêmes» de
réinvestir le champ politique.
Philippe Gomès, de Calédonie ensemble, a déclaré (8) avoir adopté le
concept de «souveraineté partagée» parce qu'il «est la clé, l'équilibre
à trouver entre ceux qui aspirent à une émancipation plus aboutie
intégrant des éléments de souveraineté externe et ceux qui aspirent à
rester protégés par la France avec une souveraineté provinciale interne
renforcée». Puis il a reproché à la CCAT d'avoir «capitalisé» sur la
«grave crise existentielle» d'une jeunesse kanak «pour partie
acculturée, pour partie exclue», parce que «à la fois marginalisée dans
la ville dans laquelle elle est née (...) et à l'écart de la vie
tribale, à laquelle elle ne participe que de manière occasionnelle».
Selon lui, «le 13 mai[début des émeutes]a permis à cette jeunesse
d'affirmer son identité de manière légitime contre le dégel du corps
électoral, puisque le mot d'ordre politique a été donné».
La «droite dure» se prépare également aux négociations. Dans une
conférence de presse tenue le 20 novembre à Nouméa, les Loyalistes se
sont affichés unis et ont prôné une «fédération territoriale». Pour
Sonia Backès, présidente de la province Sud, cette formule englobe
«l'appartenance à la République, l'unité du territoire, le respect de
nos diversités et de nos différences». Rires.
Exit Barnier, place à Bayrou
Après la censure par l'Assemblée nationale du budget 2025 pour la
France, le 5 décembre, Macron a promis une loi spéciale dans les dix
jours afin d'«assurer la continuité de l'Etat». N'empêche: la classe
politique calédonienne, toutes tendances confondues, clame depuis son
inquiétude concernant le milliard d'euros promis par Barnier pour la
«reconstruction» de l'archipel et actuellement dans les tiroirs du
Parlement.
Le député loyaliste Nicolas Metzdorf n'a pas plus qu'Emmanuel Tjibaou
voté la motion de censure; et, avec les deux sénateurs calédoniens
Robert Xowie et Georges Naturel (LR), ils ont adressé une requête
«transpartisane» à Macron pour soutenir les «besoins urgents» de la
Nouvelle-Calédonie, «lourdement fragilisée par une crise économique,
sociale et politique sans précédent». Puis, à peine François Bayrou
devenu Premier ministre, Metzdorf et Naturel se sont fendus d'une
tribune intitulée «Sauvons les Calédoniens de la crise humanitaire et
économique» car «il en va de la survie d'un territoire français»; parue
dans L'Opinion le 13 décembre, elle a été signée par 70 autres
personnalités politiques parmi lesquelles figure un certain Darmanin...
Quelques heures avant le vote contre la motion de censure, cependant, le
budget de «fin de gestion» pour 2024 a été adopté par le Parlement, ce
qui a notamment permis de débloquer 223 millions d'euros pour la
Nouvelle-Calédonie avant 2025. Cette somme a garanti le financement des
provinces et des communes, assurant ainsi le versement des salaires des
fonctionnaires; le fonctionnement du Ruamm (régime d'assurance-maladie
et maternité calédonien), indispensable pour les hôpitaux et le paiement
des médecins; la pérennité du régime d'assurance-chômage; la stabilité
du système électrique Enercal. Mais cette aide financière a suscité des
réactions indignées au Congrès calédonien quand celui-ci l'a examinée
pour la valider et l'intégrer au budget de l'archipel, le 11 décembre.
D'une part, son texte non modifiable a été négocié par le gouvernement
local sans l'habilitation du Congrès (9). D'autre part, cette aide a
accru l'endettement du territoire puisqu'il s'agit de prêts et d'avances
remboursables, et en l'acceptant le gouvernement calédonien s'est engagé
à modifier des taxes (sur la consommation et sur la contribution
calédonienne de solidarité) qui vont pénaliser les ménages les moins
fortunés. Une juste préoccupation (voir l'encadré «Quelques pourcentages
annonciateurs d'autres "crises»»), mais le Congrès n'en a pas moins fini
par adopter le texte à l'unanimité.
L'Etat français joue sa partie en s'appuyant sur le gouvernement Mapou;
il le fait aussi en conviant au dialogue les groupes politiques du
Congrès et des provinces - et non le FLNKS, alors que les négociations
sur les accords de Matignon-Oudinot et de Nouméa ont été conduites par
les représentants de ses composantes. Lors d'une conférence de presse
organisée le 15 novembre, le FLNKS a estimé que l'État tentait par là de
s'entendre avec les indépendantistes présents au sein des institutions,
considérés comme plus modérés. Il a martelé qu'il «a été, est et restera
le seul mouvement de libération du peuple kanak» et qu'aucun accord
politique ne sera légitime sans qu'il en soit partie prenante.
Le 10 décembre, l'UC a enfoncé le clou en annonçant qu'elle ne
retournerait pas à la table des négociations sur l'avenir institutionnel
avant le nouveau congrès du FLNKS, programmé fin janvier 2025 et qui
doit permettre de «confirmer la stratégie unitaire des
indépendantistes». Quatre jours plus tôt, une délégation
«transpartisane» (comprenant un membre de l'UC, Pierre-Chanel Tutugoro)
avait proposé au Parlement que ces négociations démarrent le 15 décembre
2024.
On va voir comment Bayrou gère le «dossier calédonien». En 1989 il a,
selon ses dires, voté oui au référendum entérinant les accords de
Matignon. En 2017, il a exprimé son «incompréhension» face aux propos de
Macron qualifiant la colonisation française de «crime contre l'humanité»
(«une phrase blessante pour beaucoup de Français, et qui ne correspond
pas à la vérité historique»)... mais, dans le même temps, il a rendu
publique son alliance-ralliement à ce même Macron pour la
présidentielle. Et maintenant?
Vanina, le 18 décembre 2024
Notes
1. Lire notamment les articles parus dans Courant alternatif depuis
l'été dernier.
2. Ce gouvernement comprend 11 membres (dont deux femmes depuis
septembre): 3 UC et 3 Palika; 4 Rassemblement-Les Républicains et 1
Calédonie ensemble.
3. Seul le groupe mené par le Palika s'est abstenu.
4. Le taux d'endettement calédonien est, selon un communiqué de l'Eveil
océanien le 22 novembre, de 337 %, principalement du fait du Covid et de
«la crise liée aux exactions».
5. L'AFM-NC (non-indépendantiste) estime à 180 millions d'euros le cout
des émeutes pour les communes de l'archipel.
6. Ces scrutins étaient dans les accords de Matignon réservés aux
personnes établies sur le territoire depuis au moins dix ans.
7. Assurer la sécurité extérieure par la diplomatie et la défense du
territoire, la sécurité intérieure et l'ordre public par des forces de
police; définir le droit et rendre la justice; battre monnaie par le
biais d'une banque centrale; voter son propre budget en levant l'impôt
et en gérant les finances publiques.
8. Interview du 22 novembre à Demain en Nouvelle-Calédonie.
9. Le gouvernement local avait usé en septembre du même procédé pour le
gros prêt étatique intégré au projet de loi de finances 2025.
https://oclibertaire.lautre.net/spip.php?article4349
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