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(fr) Courant Alternative #346 (OCL) - Gilets Jaunes à Commercy

Date Tue, 21 Jan 2025 18:34:15 +0000


Claude, un des animateurs des Gilets Jaune à Commercy, rapporte son regard. Claude est un militant connu localement (Bure entre autres) et il milite localement pour le communalisme libertaire. Nous produirons prochainement une interview de lui à ce sujet car il est depuis devenu maire de Menil-la-Horgne (village à côté de Commercy) sur la base du communalisme libertaire (ni Claude ni le conseil municipal ne prennent de décisions, tout est décidé par assemblées populaires du village). ---- Le début du mouvement avant le 17 novembre ---- Le 10 novembre 2018, une réunion de préparation aux manifestations du 17 novembre a lieu dans un bar de Commercy, chez KADER. C'est de là que tout a démarré. Première surprise qui marque le caractère spontané et original du mouvement: bien que très engagé dans les milieux militants locaux, je n'obtiens cette info que par la bande, via des amis qui l'apprennent eux-mêmes par Facebook. Comme beaucoup à cette époque, je suis super méfiant. On entend tout à ce propos: révolte des petits patrons, poujadisme, extrême droite, revendications étroites et consuméristes, etc. Avec quelques potes, nous nous rendons néanmoins à cette réunion. Il n'y a pas loin de 200 personnes présentes et ça déborde sur le trottoir devant le bar. Incroyable dans notre bled de quelques 5500 habitants.

Deuxième surprise: une rafale de revendications est énoncée et mise au vote point par point par les organisateurs. Loin de se limiter à la seule baisse des taxes sur les carburants, c'est tout le prisme des exigences sociales et démocratiques qui est balayé: suppression des inégalités, taxation des riches y figurent en bonne place. Quant à la démocratie, elle est présentée comme la véritable proposition alternative par un orateur. «C'est pas le tout de réclamer, il faut aussi faire progresser le système par nous-mêmes» clame-t-il. C'est ainsi que les revendications de nouvelle constitution et de RIC sont évoquées.

Plus étonnant, la notion de municipalisme libertaire est mise en avant. Je n'en crois pas mes oreilles. Quelqu'un dans la salle: «C'est quoi le municipalisme libertaire?». La réponse brève résume tout et brillamment: «on prend le pouvoir dans les communes, c'est nous qui décidons ensemble, et les élus obéissent». Mais bon sang qui c'est ce type? Je ne le connais même pas. Ça fait des années que je parle de ça en réunions militantes, tout le monde s'en fout et là, un gars sorti de nulle part fout le feu avec ça. Acclamations de la salle: «Oui on n'a qu'à faire ça!». Chaque revendication est votée à main levée et on se donne rendez-vous une semaine plus tard (pour le 17 novembre) à 6 h du matin. Une dizaine de personnes se portent volontaires pour organiser et planifier l'action et se retrouvent après la réunion. J'en fais partie. Je vais voir le gars: «Putain mais qui t'es toi? C'est incroyable tout ce que t'as dit j'en reviens pas». Il me répond «Tu te souviens pas de moi? Je suis venu à une réunion chez toi il y a deux ans, sur le municipalisme libertaire, ça m'avait pas trop plu, vous fonctionniez comme une secte, mais tu vois, ça a servi à quelque chose, j'ai bien aimé l'idée». Bon ben vraiment c'est génial de recevoir une claque comme ça. Je n'ai pas une hésitation: je serai là samedi prochain.

Le 17 novembre

Le 17 novembre, j'arrive avec mon camion que je mets à la disposition de la lutte, à 5h30 tapantes, et on se répartit toutes les entrées de Commercy pour organiser un blocage total de la ville. Parmi les revendications reprises sur le tract rédigé par le collectif organisateur à la suite de la réunion du 10 novembre, et qui sera distribué le 17, l'on trouve: suppression des impôts indirects (dont la taxe carburant), revalorisation des retraites, revalorisation et égalité des salaires, hausses des budgets des services publics, planification écologique, égalité fiscale et répartition des richesses. L'on y voit également figurer des alternatives au système représentatif: assemblée constituante, référendum d'initiative populaire et municipalisme libertaire. Cette dernière proposition y est définie comme «une forme de relocalisation des décisions politiques par une assemblée populaire démocratique». Bien qu'elle occupe une partie importante du tract, il faut être honnête, elle passe relativement inaperçue auprès de la majorité des personnes présentes, focalisées sur le pouvoir d'achat et le «ras-le-bol fiscal». Les membres d'une association militante pour l'autogestion, Là Qu'On Vive, dont moi, présents à l'assemblée sont à la fois surpris («percuté de plein fouet» selon les mots d'un autre Gilet jaune membre de l'association) et enthousiasmés de voir l'idée autour de laquelle ils et elles entreprennent un travail d'éducation populaire de long terme se retrouver ainsi portée sur un tract rédigé par des personnes extérieures et étrangères à l'association.

Quand on habite tout près d'une petite bourgade de 5000 habitants, quand on y fait ses courses, qu'on y va chez le toubib ou qu'on y prend le train, on a l'impression de connaître tout le monde. En fait on ne connaît personne. Je veux dire on ne connaît personne vraiment bien. On ne sait pas leur vie, leur travail, leur souffrance. On ne sait pas leur colère. Ce 17 novembre en gilet jaune me l'a prouvé. Les dizaines de discussions que j'ai pu avoir, facilitées par la surprise de retrouver là des visages connus, ont été autant de bonnes surprises. Et de liens tissés.

On m'avait dit qu'il y aurait des patrons qui n'en avaient rien à foutre de nous, je n'en ai pas vu.

On m'avait dit qu'il y aurait des racistes, je n'en ai pas vu ou si peu. Je n'ai vu quasiment que des petites gens qui en chient, qui payent cher pour aller bosser, ou d'autres qui touchent des minimas sociaux parce qu'ils sont malades ou tout simplement parce qu'ils trouvent complètement con d'aller bosser pour 1000€ avec 300€ de transports par mois. Alors oui bien sur quand on en chie, on a tendance à s'en prendre aux "cas soc" qui ne branlent rien. Mais on sait bien qu'au fond, ce n'est pas eux le problème. Je n'ai pas arrêté de répéter ces deux chiffres toute la journée: fraude au RSA = 100 millions par an. Fraude fiscale des gros bonnets = 100 MILLIARDS par an, mille fois plus! (sans compter les 200 milliards de cadeaux fiscaux et sociaux qui leur sont faits). Alors qui sont les parasites? A qui va le pognon qu'on devrait se partager?

La réponse est claire et à chaque assemblée générale de ce week-end, les intervenants le répètent: tout va dans la poche des capitalistes! Quant à l'écologie: Quelle arnaque! Les gros pollueurs ne seront même pas touchés. On nous prend vraiment pour des truffes. Des discussions là-dessus, on en a eu! Et pas qu'un peu! Autour des braseros où grillait la bouffe et autour des quelques bonnes boutanches apportées par des potes. Et ça a commencé de bonne heure. Le matin dès 6h30: déjà 250 personnes chaudes bouillantes qui se répartissent les points de blocage, tous les supermarchés, les 2 stations-services et les entrées de la ville. Pour beaucoup, c'est leur première manif. Deux dames viennent me voir: "dis on te connaît toi; Tu te bats contre Bure non? C'est notre première manif on est contente d'être là mais on a quand même un peu les jetons, comment ça se passe si y a de la bagarre?". Je les rassure: quand y a de la bagarre dans une manif, on n'est jamais obligé d'y participer, on reste en retrait et ça se passe bien; surtout quand y a du monde comme aujourd'hui. Et du monde il y en a eu: sur la journée c'est impossible à estimer combien on était, plus de 500 personnes ça c'est sur, certains disent mille je ne sais pas. En tout cas c'est incroyable pour une petite ville comme la nôtre. Des ouvriers, des routiers, des retraités, des chômeurs, des jeunes... Et même une quinzaine de paysans en tracteur qui viennent nous prêter main forte sous les hourras et les klaxons. Beaucoup de bonheur!

Sur mon point de blocage, je me retrouve avec une trentaine de personnes. Très peu de bagnoles, en fait toute la Meuse est tellement bloquée qu'on n'a pas beaucoup de taf! Celles et ceux qu'on arrête sont le plus souvent sympas, ont le gilet jaune sur le tableau de bord, et cherchent à aller bosser. On les en empêche et on se laisse photographier pour qu'ils puissent prouver à leur patron qu'ils ont été bloqués. On leur propose le jus. Et ils repartent avec notre tract. Certains décident carrément de nous rejoindre et passent une heure ou deux à discuter. Plus la journée avance, mieux on se connaît et plus les vannes fusent; des conneries ça on en raconte! mais on est sérieux quand même, déterminés, et on fait gaffe à calmer les excités en leur indiquant des itinéraires lointains mais dégagés. Ici ça se passe bien mais on entend dire qu'il y a eu une morte et des blessés ailleurs en France. Les visages se crispent. On peut rien y faire, y a des cons partout même dans notre mouvement; les salopards du gouvernement vont certainement en profiter pour essayer de nous discréditer. On s'en fout, on lâchera rien! Tout le monde est super déterminé. Oui mais la suite? qu'est-ce qu'on va faire si ça s'arrête, si les fumiers d'en face nous la mettent à l'envers une fois de plus? On ne veut pas y penser il faut tenir! C'est ce que tout le monde dit. Les blocages doivent continuer même si on est moins nombreux parce que c'est dur, parce qu'on ne peut pas tous faire grève ou parce que plein de choses de la vie nous en empêchent. Maintenant, il va falloir être intelligents, se relayer. Et déjà tenir jusqu'à vendredi (le black friday) et samedi et au-delà s'il le faut.

La suite du mouvement

Le soir du 17 novembre, les gens se réunissent à la principale station-essence de Commercy (bloquée bien entendu) pour décider de la suite des actions et un groupe de 150 à 200 personnes vote l'occupation de la nuit et la reconduction des blocages pour le dimanche. Des braséros sont tenus toute la nuit aux points de blocage, et une dizaine de personnes installent un campement avec un barnum à la station-essence de l'Intermarché pour continuer à bloquer l'accès à celle-ci. Le scénario se répète dans les jours qui suivent et nous, les Gilets jaunes (comme je suis fier de porter ce nom!) se réunissent à nouveau tous les soirs pour voter la reconduction des blocages. Ceux-ci se déroulent de manière «bon enfant , avec des braséros, de la musique, des chants d'une chorale locale et des dons de nourriture de nombreux voisins et voisines.

Mais ici à Commercy, on voit encore plus loin. On se dit que quoi qu'il arrive, il va falloir conserver ces liens qu'on a tissés et maintenir en vie cette solidarité. On se dit qu'il y a des trucs qu'on pourra faire en commun, qu'ils ne pourront pas nous en empêcher de faire. C'est dans notre tract. On propose carrément une réunion à toute la population le 7 décembre prochain pour jeter les bases de l'assemblée populaire et du municipalisme libertaire. C'est à dire? Ben voilà, le tract disait en gros: même si on ne gagne pas sur le plan national, il y a une chose qu'on aura comprise, c'est que dans ce système, on ne nous laisse décider de rien! On vote et puis après ils font leur petite sauce au service des puissants et on a juste à fermer nos gueules. Avec l'assemblée populaire en local, eh bien c'est les gens qui choisissent ce qu'ils pensent être bon pour leur cadre de vie, pour leur ville. Ça nous apprend à réfléchir ensemble, à reprendre nos affaires en main. Comment faire pour mettre ça en place. On en discutera le 7 décembre. Et il va y avoir du monde ça c'est certain! Mais d'ici là courage à toutes et à tous! Et bravo! On a montré qu'on était capable de s'organiser sans maîtres, sans hiérarchie; et on a montré qu'on pouvait leur faire peur. Et quelque chose me dit que là-haut, ils n'ont pas fini de trembler.

Peu après les premières journées, alors que nous sommes à nouveau réunis à plusieurs dizaines sur le parking, un élément matériel nous pousse à adopter une autre forme de prise de décision collective: Steven, mon pote raconte: «Et un soir, on a eu une panne de micro: pas d'électricité, pas de micro. En fait, on s'est mis en cercle, on a commencé à discuter comme ça, tous ensemble, et se dire ‘Qu'est-ce qu'on fait pour demain?' On voyait que les gens échangeaient entre eux et étaient pas simplement en train d'écouter». Cet évènement apparemment anodin a véritablement changé la dynamique du groupe, et jeté les bases du fonctionnement de l'assemblée démocratique: fini le surplomb du dirigeant, terminées les péroraisons, on s'est écoutés, respectueusement, et avec toute l'indulgence possible.

La cabane, aussi surnommée «Chalet de la solidarité», s'avère devenir rapidement un espace où s'exprime une solidarité locale réciproque entre tous les Gilets jaunes et la population. D'un côté, on organise à la cabane des «soupes solidaires» (ce terme ayant rapidement remplacé «populaire» en raison la connotation de ce dernier avec la «charité» envers les pauvres), préparées sur place le matin avec des légumes donnés par des particuliers ou des commerces. Ces soupes sont pour les GJC (Gilet Jaunes de Commercy) une manière de faire venir et rencontrer la population, parfois avant certains évènements comme des manifestations ou des assemblées. Assemblées qui se tiennent désormais chaque soir à 17H30 et rassemblement au départ quelques 50 personnes, pendant plusieurs mois. Une belle réalisation que cette cabane construite en 2 jours, où tout le monde aura mis la main à la pâte. Située en plein milieu de Commercy, sur la place principale, elle sera finalement démontée par la marée chaussée accompagnée par le maire lui-même, macroniste, qui nous fera d'ailleurs un doigt d'honneur. Et ceci malgré des centaines de signatures de commerciens qui réclamaient son maintien. A cette occasion, le maire déclarera d'ailleurs quelque chose de fondateur pour la suite: «ce ne sont pas les commerciens qui décident».

Le premier appel de Commercy

Vu l'ampleur des mobilisations des samedis 17 et 24 novembre, le gouvernement souhaite alors rapidement négocier avec des porte-paroles du mouvement des Gilets jaunes, et un groupe d'une trentaine de «représentants régionaux» des Gilets jaunes désigne une délégation de huit personnes pour ce faire, dont des personnes à l'initiative du mouvement comme Priscilla Ludosky et Éric Drouet. A Commercy, nous ne sommes pas d'accord. Afin de marquer une opposition publique à toute négociation avec le gouvernement au moyen de porte-paroles désignés par une minorité dans le mouvement, on décide en assemblée de lancer un appel aux autres Gilets Jaunes de France sous la forme d'une vidéo YouTube publiée le 30 novembre 2018, soit moins de deux semaines après le début du mouvement. Je propose un texte qui est largement amendé et puis approuvé par l'assemblée au cours d'un vote. Le texte est lu à la cabane par un groupe de huit personnes portant le gilet jaune, alternant à chaque fois entre hommes et femmes, qui le lisent avec leur maladresse, leur difficulté à s'exprimer mais avec le coeur. Et ça se voit.

Cet appel, dont le sous-titre est «Refusons la récupération! Vive la démocratie directe! Pas besoin de ‘représentants' régionaux», commence par parler des actions qui se sont déroulées à Commercy (blocages, construction de la cabane, soupes solidaires) et de leur fonctionnement en assemblées populaires quotidiennes, «où chaque personne participe à égalité». L'appel enjoint également à refuser de nommer des représentants comme le demande le gouvernement. Il précise que la démarche envers l'État a déjà été entamée au travers du partage des revendications aux préfets et sous-préfets. Ce qui pourrait en advenir n'est qu'un risque de récupération, d'encadrement, de fonctionnement de haut en bas, de «reproduction du système» et de «‘représentants' qui finiraient forcément par parler à notre place». Nous on propose au contraire un modèle de délégation du pouvoir, le seul qui nous semble valable: «Si délégués il doit y avoir, c'est au niveau de chaque comité populaire local de gilets jaunes, au plus près de la parole du peuple. Avec des mandats impératifs, révocables, et tournants».

On appelle ensuite à reprendre le pouvoir «par la base», à construire des cabanes et des maisons du peuple, et à créer partout «des comités populaires, qui fonctionnent en assemblées générales régulières. Des endroits où la parole se libère, où on ose s'exprimer, s'entraîner, s'entraider».

L'appel finit sur un slogan qui deviendra le leitmotiv du mouvement: «Pouvoir au peuple, par le peuple et pour le peuple». Cet appel aura un écho militant important. Il comptabilisera plus de 200.000 vues sur les réseaux sociaux, et donnera lieu à de nombreux messages de soutien d'autres groupes Gilets Jaunes et collectifs militants, en France mais également ailleurs dans le monde (comme du Rojava, du Chiapas ou d'Algérie), et des visites de Gilets Jaunes ainsi que des militants et militantes, de France et d'autres pays d'Europe. Parmi les dizaines de messages d'autres groupes reçus sur notre boîte mail créée à cette occasion, on trouve des témoignages d'adhésion au message de démocratie directe contenu dans l'appel, des demandes de conseils pour lancer une assemblée, des outils de fonctionnement en démocratie directe, des demandes de visites...

Et des déferlements de journalistes du monde entier qu'on a fini par envoyé paître.

Par exemple, on s'est offert le luxe de refuser Envoyé Spécial et le New York Times. Et on en a ri longtemps.

L'assemblée des assemblées

Ce n'est pas moi qui ai eu l'idée mais un camarade qui vivait au Rojava à ce moment-là. Quand il a écouté l'appel des GJ de Commercy, il m'a téléphoné et il m'a dit texto: «Maintenant mon gars, faut actionner le deuxième étage de la fusée. L'assemblée des assemblées». Je n'en revenais pas de la force de cette idée. De son évidence. On a causé pendant une heure, et on avait une stratégie. Tout de suite après j'ai retrouvé les potes de Commercy et leurs yeux se sont illuminés. On tenait quelque chose de puissant, on le sentait. En réalité il s'agissait ni plus ni moins que le débouché politique au mouvement qu'on était en train de mettre sur pied. Le seul débouché crédible et logique en réalité. Et on l'a tenté!

J'ai animé de façon neutre de bout en bout l'assemblée des assemblées, mettant toute mon énergie dans la réussite de ce moment, recherchant les compromis, luttant contre la prise de pouvoir des groupuscules. Le bilan que j'en tire est mitigé. Les gens un peu militants y ont cru mais en voulant y impulser leur idéologie. Les gens non politisés se sont divisés en deux catégories: ceux qui ont senti instinctivement que c'était la seule voie possible et qui ont décidé d'y mettre de l'énergie, et ceux qui ont ressenti cet effort de structuration comme énergivore par rapport à la nécessité de poursuivre les actions et se sont détournés progressivement de ce que l'on a pu nommer «la frange assembléiste des GJ».

Les suites du mouvement

Ce mouvement a laissé une première trace dans le mouvement militant de gauche (syndical, politique et associatif). Car il a tout d'abord prouvé une fois de plus, in situ, que l'étincelle révolutionnaire ne jaillissait pas forcément de l'intelligentsia progressiste. Et ensuite, il nous a donné à réfléchir. La question de l'entre soi qui se posait déjà avant, a véritablement surgi au coeur des préoccupations de toutes celles et ceux, qui, sincères, veulent transformer la société. La question de la démocratie pyramidale a, elle aussi, reçu la claque qu'elle méritait lorsque l'on connaît la manière dont sont structurées la quasi-totalité des organisations politiques.

A Commercy, nous avons tenté de procurer un prolongement et au mouvement des GJ et à cette réflexion démocratique, en présentant une liste aux élections municipales de 2020. Dès décembre 2019, une liste citoyenne se construit et entame doucement sa campagne électorale. À une large majorité, le groupe choisit de l'appeler «Vivons et Décidons Ensemble». La liste décide de n'avoir pour programme que la démocratie directe, à savoir donner le pouvoir à l'ACC (Assemblée Citoyenne de Commercy) en liant le mandat des élus aux décisions de celle-ci. Ce programme est formulé en ces mots sur la «profession de foi»: «Notre liste vous propose la DEMOCRATIE DIRECTE: aucune décision importante ne sera prise sans être approuvée par les Commerciens et Commerciennes» Ainsi, si la liste obtient des sièges, l'ACC, «ouvertes à toutes et tous», deviendrait le lieu de débat et de prise des grandes décisions par les habitants et habitantes, décisions que les personnes élues de la liste entérineraient par la suite comme les leur au conseil municipal. La liste propose également une «charte d'engagement des élus qui encadre et définit leur mandat», «des référendums locaux si nécessaires, «une proposition de Constitution Locale» , un «Conseil Constitutionnel Citoyen qui se porte garant de cette Constitution». Malheureusement, et malgré le mouvement des GJ, notre liste n'obtiendra que 9,97 %, ce qui n'est déjà pas mal compte tenu du caractère novateur de la démarche, mais qui créera beaucoup de tristesse chez celles et ceux qui s'y étaient investis. Un documentaire intitulé «Nous ne sommes rien soyons tout» et une thèse de doctorat ont été consacrés à cette aventure dont l'histoire est donc désormais gravée dans le marbre.

Pour ma part, habitant d'un petit village de 190 habitants, je suis devenu maire en étant élu sur une liste qui applique la démocratie directe et qui pratique l'assemblée de tous les habitants. Il s'agit aussi d'un prolongement concret de l'expérience des GJ. Et cette expérience fonctionne puisque depuis 4 années, la quasi-totalité des habitants du village participe aux assemblées, débat, vote et prend les décisions que je n'ai plus qu'à appliquer, d'accord ou pas, avec mon conseil municipal qui s'est engagé par écrit à respecter les décisions des citoyens. Apparemment nous sommes hélas les seuls en France à fonctionner ainsi mais l'étincelle est là. Un documentaire est actuellement tourné sur notre commune et de plus en plus de gens s'intéressent à la question.

Conclusion

J'ai d'emblée adoré le caractère populaire et brut de décoffrage de ce mouvement. Je m'y suis senti comme un poisson dans l'eau. Quel bonheur de sortir enfin de l'entre soi militant, de côtoyer toutes sortes de gens, pas du tout politisés et pas du tout d'accord avec mes idées. Quel bonheur d'avoir enfin l'impression de servir à quelque chose de plus grand que convaincre quelques personnes déjà convaincues de rejoindre un groupe déjà formé. Quel souffle de sortir enfin de mes petites sectes écolo gauchistes où je m'étais pourtant épanoui pendant si longtemps. Quelle expérience vivifiante d'échanger enfin sur le fond des problèmes avec des gens qui votent RN par exemple, dans un climat de confiance et de respect vu qu'on partage le même combat et le même dégout de la société. Ça c'était la force du mouvement: refuser les étiquettes, se foutre de la pureté idéologique, se frotter les uns aux autres, découvrir que l'on souffre des mêmes souffrances, créer des liens forts, ne pas avoir de solution tout de suite, rechercher ensemble, dans le respect la confiance et la bienveillance. La faiblesse c'était justement de n'être pas assez expérimentés pour imaginer un autre débouché politique que «Macron démission». Qu'aurions nous fait si comme en 1968, le gouvernement s'était barré en hélico et que le pays eut été à nous? Aurions-nous été plus malins que nos aînés? C'est peu probable. L'instinct de conservation qui a consisté à refuser la présence de tout parti ou syndicat était un instinct très juste. Mais alors que faire pour la suite? Dans bien des endroits la question est restée sans réponse. A Commercy, où l'alignement des planètes était parfait, nous avons tenté quelque chose d'innovant: le pouvoir aux assemblées. Et environ un tiers du mouvement national des GJ nous a suivis. Ce n'était pas assez mais un beau rêve a pris naissance, en dehors des schémas politiques habituels. Au final, nous n'étions donc pas assez nombreux pour durer. Mais nous avons construit et fait rêver. C'est le propre des mouvements révolutionnaires. Et celui-ci en était un qui fera date. Selon moi, la graine est semée...

Claude, Commercy

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