A-Infos (fr) Monde Libertaire - Des idées et des luttes: L'école du soir

Après sa journée de travail ---- Quelle énergie devait animer ces 
ouvrières et ouvriers qui après une journée de travail harassant de 5 h 
à 19 h, pour se rendre à des cours du soir en mathématiques, français, 
géométrie, mécanique, conférences de culture générale! Ils voulaient 
renforcer leur savoir-faire et comprendre le monde tel qu'il est. ---- 
Avant l'institutionnalisation républicaine de l'école, les cours du soir 
se généralisent «dans cette période (1815-1870) qui voit se transformer 
en profondeur l'enseignement comme les mondes du travail pendant que 
s'engage le double mouvement d'élargissement de la souveraineté 
populaire et d'expansion industrielle.» Carole Christen, professeure 
d'histoire contemporaine, nous accompagne dans la découverte d'une 
période peu connue, celle qui s'étend de la chute de l'Empire en 1815, 
la Restauration jusqu'à la fin du Second Empire en 1870 dans son livre 
L'école du soir, publié chez Champ Vallon en 2023. «Donner des 
connaissances aux ouvriers afin de leur permettre d'améliorer leur 
position professionnelle et d'augmenter leur pécule par une meilleure 
qualification est l'objectif principal revendiqué de ces écoles du 
soir.[...]Elles doivent moraliser et acculturer les ouvriers aux valeurs 
bourgeoises». Souvent les élèves adultes se voient récompensés par 
l'ouverture d'un livret de caisse d'épargne. A noter la montée en 
puissance des femmes dans ces cours passant de 4 000 élèves en 1843 à 
plus de 100 000 en 1869.

L'idée républicaine de diffusion du savoir

Afin d'améliorer l'efficacité des travailleurs dans l'utilisation des 
technologies, nombre de philanthropes libéraux, d'ingénieurs 
polytechniciens entendent lutter contre l'illettrisme. Il faut s'adapter 
au «nouvel ordre manufacturier» en s'inspirant de la Grande -Bretagne. 
Dès 1819, le Conservatoire national des arts et métiers développe «un 
enseignement public et gratuit pour l'application des sciences aux arts 
industriels». Un certain Dupin, ingénieur développe les enseignements en 
compagnie notamment de François Arago. Est-ce que l'idée républicaine de 
diffusion du savoir ne serait pas déjà en germe? le lecteur sera surpris 
par la recherche dans la pédagogie, la transmission du savoir adaptée à 
un public adulte. Des brochures, des polycopiés sont diffusés. Cela 
suscite un intérêt mais aussi une inquiétude de la part des autorités. 
Que peut-on bien y partager au-delà de la simple technologie? Et à la 
sortie des cours en particulier. Un enseignant conseille publiquement à 
ses élèves la prudence dans l'expression s'ils souhaitent que les cours 
perdurent. La police n'est pas loin, tout comme les espions du pouvoir.

Une mobilisation de tous les acteurs

Mais l'expérience ne se limite pas à Paris, des initiatives se 
développent dans la France hexagonale, appuyées par des communes. Le 
livre reprend des affiches de Troyes, Chalons, Lyon, Rennes... Des 
conceptions pédagogiques très différentes portent les projets. On peut 
noter l'Association polytechnique, une société philanthropique pour 
l'instruction des ouvrières et des ouvriers. En province, la Société 
libre d'émulation de Rouen ou la Société philomatique de Bordeaux sont 
symptomatiques de l'époque, une démarche technique et moralisatrice. Les 
Frères des écoles chrétiennes s'implantent alliant enseignement et 
morale. Le municipalisme éducatif se développe dans les communes 
républicaines ou progressistes. Les réformateurs sociaux, entre 1830 et 
1850, entendent aussi participer à l'éducation du peuple, la propagande 
républicaine s'instille notamment par les cours d'histoire, de français. 
De nouvelles méthodes pédagogiques s'appuient sur les bibliothèques 
publiques. Un véritable club républicain s'instaure en réseau. Il faut 
lire ces pages pour comprendre la lente mais inexorable évolution durant 
ce milieu du 19ème siècle jusqu'à 1848. De nombreux instituteurs 
interviennent bénévolement mais aussi des autodidactes comme Martin 
Nadaud, le maçon creusois, qui d'élève devient enseignant, Agricole 
Perdiguier, Flora Tristan apparaissent dans ces pages. Des athénées 
populaires se mettent en place. Plus tard des enseignants agrégés, des 
docteurs renforcent le poids de ces structures. On parlera même de 
Sorbonne des ouvriers. Jolie formule surtout en des temps où cette 
institution constituait le symbole du savoir aux mains de la bourgeoisie.

Cette école du soir «participe à la construction d'une société plus 
instruite, mieux formée aux techniques et aux sciences nécessaires à 
l'adaptation des métiers traditionnels au processus d'industrialisation 
en oeuvre et capable de participer à la vie démocratique par l'exercice 
raisonné du droit de vote, à partir de 1848». J'ajouterai que des 
témoins comme Eugène Varlin, Victorine Brocher, ont suivi ces cours. Les 
enseignements diffusés, les méthodes utilisées, les revendications se 
retrouveront dans les idéaux de la Commune et notamment la nécessité 
d'équilibrer un savoir intellectuel et manuel.

Carole Christen
L'école du soir
Ed. Champ Vallon, 2023

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