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(fr) Organisation Communiste Libertarie (OCL) - Diplomatie et géopolitique du déséquilibre (2ème partie)
Date
Mon, 22 Feb 2021 17:48:05 +0000
Cet article fait suite à celui qui est paru dans CA n°304 (novembre
2020), intitulé «Démocratie et diplomatie: la valse autoritaire
d'Erdogan».[http://oclibertaire.lautre.net/spip.php?article2481]L'article
montrait comment «les élites politiques (avaient) largement recours au
populisme et à la violence en l'absence d'institutions démocratiques».
---- La victoire de l'Alliance Populaire réunissant l'AKP[1], le
MHP[2]et le BBP[3]aux élections anticipées de juin 2018 permet à Recep
Tayyip Erdogan de renforcer son pouvoir et de diriger d'une main de fer
la République de Turquie. Intimement liés à la mouvance des Loups Gris,
dont le réseau s'étend jusqu'en Europe, ces deux partis d'extrême droite
constituent pour ces élections l'élément clé de la politique électorale
de l'AKP. ---- La Turquie traverse une grave crise monétaire et
économique: l'inflation atteint plus de 20% et le taux de chômage grimpe
à plus de 17 % de la population active. La popularité de l'AKP, entre
autre bâtie sur la croissance économique la plus élevée des pays du G20,
ne peut dès lors plus reposer uniquement sur le miracle économique
anatolien tant vanté par le Reïs (chef ottoman). En constante
dépréciation depuis le putsch manqué de 2016, la livre turque a perdu
près de 43% de sa valeur face au dollar et, malgré les injonctions des
institutions internationales et des entreprises turques à abaisser les
taux d'intérêts, Ankara poursuit sa course effrénée vers la croissance.
«Certains disent que trop de croissance nuit. Ils disent cela parce
qu'ils sont jaloux, rien d'autre» annonce Erdogan au lendemain des
élections. Si l'économie turque tend vers une forme de gestion libérale
institutionnalisée, sa politique intérieure tend, elle, vers une forme
d'autoritarisme où les pleins pouvoirs sont détenus par une alliance
politique de circonstance, aux tendances islamo-nationalistes.
Le résultat des élections est donc à lire à la lumière de la situation
socio-économique fébrile du pays: sur les cinq partis représentés au
Parlement turc, deux sont issus de la droite nationaliste qui ne cesse
de nier l'existence d'un «problème kurde» en Turquie, mais vante
l'attitude va-t-en guerre d'un gouvernement obnubilé par la conservation
du pouvoir.
Plus de 600 personnes sont interpellées en février 2018 pour avoir
critiqué l'opération militaire Rameau d'olivier[4]sur les réseaux
sociaux. Des journalistes, des députés du HDP (Parti démocratique des
peuples), des syndicalistes sont perquisitionnés et de nombreuses
enquêtes ouvertes pour avoir appelé à manifester contre l'offensive en
Syrie. «Quiconque se risque à manifester devra être prêt à payer un prix
très élevé» annonce Erdogan, profitant de l'état d'urgence imposé suite
à la tentative de coup d'état de 2016 pour faire taire toute forme
d'opposition intérieure.
La levée de ce dernier, le 18 juillet 2018, ne changera rien à cet état
de fait: l'alliance politique au pouvoir contrôle la justice, la presse,
l'armée et toute forme d'expression politique, publique ou privée. Cette
période d'exception a permis d'asseoir un mode de gouvernance totale, où
le Président et son clan se sont imposés comme les grands architectes
d'une société sous constante surveillance. Ayant la main mise sur les
médias, verrouillant les réseaux sociaux et la justice, le pouvoir turc
se dote de tous les outils des formes contemporaines de contrôle
panoptique de la société. Fonctionnant sur une symétrie inversée et
complémentaire au modèle panoptique totalitaire, cette forme de contrôle
se caractérise par une surveillance de tous par tous, amplifiée par
l'utilisation des médias sociaux numériques. Fortement affaibli, le
gouvernement d'Erdogan considère ainsi ses citoyens comme des risques
potentiels pour la stabilité de la structure étatique, amplifiés par
l'affaiblissement des structures démocratiques et un important rejet de
la politique menée par l'AKP.
Vers le shift oriental
Cette volonté de contrôle total de sa population traduit l'ampleur de la
crise que traverse la Turquie depuis plusieurs années: une érosion
dramatique de l'État de droit, accompagnée d'un repli sur les valeurs
islamo-nationalistes et d'une profonde défiance envers la démocratie
libérale occidentale.
Entre mars et juillet 2018, on estime ainsi chaque mois à plus de 1 500
le nombre d'internautes inquiétés, bien souvent arrêtés, et accusés de
«propagande pour une organisation illégale» ou «insulte au président».
La majorité de ces arrestations se fait sur simple dénonciation aux
autorités. Par souci de transparence, chaque mois, le ministre de
l'Intérieur publie le nombre d'enquêtes ouvertes contre les internautes
«séditieux». Les élus du HDP et les militants kurdes restent les
principales cibles de cette machine répressive qui perçoit la dimension
hautement stratégique que ce parti constitue en terme électoral et sur
la scène internationale.
La répression qui s'abat à l'Est de la Turquie est donc à mettre en
parallèle avec les opérations militaires menées en Syrie et en Irak.
L'ennemi combattu reste le même pour Ankara: le PKK[5]dans son
incarnation politique turque à travers le HDP; et dans son habit
militaire avec les HPG[6]en Turquie et les YPG/YPJ[7]en Syrie. La
crainte de voir des entités politiques et géographiques kurdes encercler
le pays à l'Est et au Sud guide donc de manière irrationnelle une part
importante de la politique extérieure et intérieure turque.
Si le traumatisme du Traité de Sèvres[8]peut en partie expliquer cette
obsession, les relations qu'entretient l'État turc avec ses minorités et
son opposition constituent également d'importants indicateurs de
l'orientation de sa politique internationale.
La volatilité des relations diplomatiques entre l'Union Européenne et la
Turquie au cours des vingt dernières années n'est pas sans conséquences
sur les orientations politiques actuelles d'Ankara. L'opération «Rameau
d'Olivier» et les opérations militaires menées à l'Est de la Turquie de
2015 à 2017 doivent également être analysées au prisme d'une
réorientation des alliances géopolitiques turques. Les multiples
violations des droits de l'homme dans les prisons; la détention de 167
journalistes faisant de la Turquie «l'une des plus grandes prisons au
monde pour journalistes»; la détention du co-président du HDP,
Selahattin Demirtas, malgré les appels de la CEDH (Commission européenne
des droits de l'homme) à son immédiate libération, la détention d'Osman
Kavala...
Loin de n'être qu'une simple juxtaposition d'évènements, ces signaux
ancrent un glissement idéologique et politique conséquent, un «shift»
qualifié d'oriental mais principalement tourné vers Moscou. L'achat des
S-400, système de défense anti-aérien russe, alors que la Turquie est
intégrée au système aérien de défense de l'OTAN, est à interpréter à
l'aune de ce nouvel équilibre géopolitique qui redistribue les cartes au
Moyen-Orient. L'enjeu pour Ankara est double: imposer de nouvelles
règles à l'Union Européenne en faisant planer le risque d'un
affaiblissement de la structure de défense du Pacte de l'Alliance
Atlantique[9], et définir de nouveaux rapports de forces avec les
Américains, dont le soutien aux forces arabo-kurdes syriennes dans leur
combat contre DAESH éveille l'ire des forces nationalistes. Ce
rapprochement fébrile avec la Russie est une des conséquences du conflit
syrien qui déstabilise la région depuis plus de 10 ans. Mais
l'incompréhension de ses alliés occidentaux sur la délicate question
kurde, amplifiée par le manque de soutien international au lendemain de
la tentative du coup d'état, nourrit un sentiment de trahison sur lequel
Erdogan va construire sa nouvelle «vision nationale». L'éviction d'Ahmet
Davutoglu[10]en mai 2016, est l'un des premiers symptômes de ce
revirement d'alliance géostratégique qui voit alors émerger la doctrine
«Mavi Vatan».
«Mavi vatan», une nouvelle vision nationale
Lorsqu'en en décembre 2006, Cem Gürdeniz, ancien amiral de l'armée
turque, lance l'opération «bouclier méditerranéen» pour défendre les
intérêts turcs en Méditerranée face à la flotte chypriote, il conçoit un
terme permettant de désigner la zone d'influence maritime de la Turquie:
Mavi Vatan -La Patrie Bleue-. Arrêtés en 2012 et détenus pendant trois
ans et demi, les amiraux et les officiers de marines turcs à l'origine
de cette doctrine sont alors perçus comme dangereux par Ankara:
anti-européens mais défendant l'idée d'une forte présence turque en
Méditerranée et en mer Egée, afin de freiner le développement des
acteurs euro-atlantiques. Cette doctrine prétend donc défendre la
Turquie face aux puissances occidentales dont les Gülenistes seraient
les relais au Moyen-Orient. Le retrait des troupes turques de Chypre du
Nord, l'expulsion de la flotte turque de la mer Egée et de la
Méditerranée et la création d'un Etat fantoche du Kurdistan ayant accès
à la mer constitueraient ainsi leurs objectifs principaux.
Cette doctrine ne prend cependant une ampleur considérable qu'à partir
de 2016, lorsque la Turquie décide d'acheter des navires de forage. Les
tensions avec la Grèce, conséquences de l'afflux de réfugiés venant de
Syrie, avec l'Union Européen et avec Chypre vont peu à peu modifier sa
teneur idéologique en doublant l'anti-impérialisme paranoïaque d'un
nationalisme exacerbé voyant dans chaque minorité l'incarnation d'un
acteur de déstabilisation interne. Avec l'éviction de Davutoglu, on
glisse donc d'une diplomatie multilatérale «zéro problème avec les
voisins» vers une diplomatie nationaliste eurasiste adoptant une
position radicale et privilégiant des moyens durs pour imposer sa vision
politique: le hard power devient alors le pilier de la politique
étrangère turque. Pilier consolidé par un soutien populaire au
néo-ottomanisme et à l'islamo-nationalisme incarné par l'Alliance
politique au pouvoir depuis 2018.
Mais les élections municipales d'avril 2019 illustrent les limites de
cette stratégie politique. Cette nouvelle orientation stratégique,
jouant sur les plaies toujours à vif d'une société turque plus que
jamais divisée, ravive les souvenirs des périodes sombres dont
l'histoire de la Turquie contemporaine est émaillée. Au sein même de
l'AKP, de nombreux partisans de la première heure se disent prêts à
quitter le navire, tant la sensation de voir un nouvel «État profond»
prendre les rênes de la structure étatique est prégnante. La campagne
électorale de l'Alliance Populaire affiche pleinement cette volonté de
réappropriation culturelle, éveillant le spectre de tensions
civilisationnelles.
C'est ainsi que, dès mars 2019, Erdogan annonce sa volonté de redonner à
Sainte-Sophie son statut de lieu de culte. Initialement transformée en
musée par Atatürk pour laisser cohabiter l'héritage chrétien et musulman
du monument, l'ancienne basilique est perçue comme un symbole
d'ouverture et illustre la laïcité dans sa définition nationale. Le
message alors envoyé par Erdogan à l'Occident est d'autant plus fort
qu'il se concrétise le 24 juillet 2020, date anniversaire de la
signature du traité de Lausanne officialisant la création de la
République de Turquie dans ses frontières actuelles, et la défaite des
troupes italiennes et britanniques. Mais malgré une campagne
parfaitement inéquitable, où l'AKP et le MHP ont à nouveau monopolisé
les médias et interdit de nombreux meetings de l'opposition, les
résultats sont perçus comme un important revers pour le parti au
pouvoir. Si globalement l'Alliance Populaire domine en obtenant 51.6%
des voix, elle perd les villes d'Istanbul, d'Ankara, d'Antalya et Adana.
Les villes symboles du pouvoir politique, culturel et
économique[11]tombent ainsi dans les mains du CHP[12]qui remporte de
nombreuses municipalités à l'Ouest du pays alors que HDP en remporte 75,
toutes situées à l'Est. Ces élections font ainsi apparaître une Turquie
divisée en trois:
- l'Ouest tourné vers des partis républicains pro-européens proche du
CHP (en rouge clair sur la carte)
- l'Est se tournant massivement vers le HDP et sa politique
progressiste, multiculturelle et multiethnique (en violet sur la carte)
- Le Centre ayant massivement voté pour les partis de l'Alliance
Populaire (le jaune correspond à l'AKP et le rouge foncé au MHP).
Cette défaite dans les grandes métropoles est perçue comme un réel
affront pour l'Alliance qui, bien que bénéficiant d'un fort soutien
populaire, va poursuivre la dynamique de conquête en multipliant les
lignes de front et les zones de tensions grâce au soutien
organisationnel et logistique de la société de sécurité privée SADAT,
fervent défenseur du parti d'Erdogan et de la doctrine de la Patrie Bleue.
Tony Rublon, 25/01/2021
Notes
[1]AKP: Le Parti de la justice et du développement présidé par Recep
Tayyip Erdogan
[2]MHP: Parti d'action nationaliste fondé par Alparslan Türkes en 1958.
[3]BBP: Parti de la grande unité, issu d'une scission du MHP
[4]Nom donné à l'invasion militaire du canton d'Afrin en Janvier 2018.
[5]PKK: Parti des travailleurs du Kurdistan, un parti qui milite pour
l'autonomie du Kurdistan en Turquie
[6]HPG: Forces de défense du peuple kurde, constituent la branche armée
du Parti des travailleurs du Kurdistan
[7]YPG/YPJ: Unités de défense ou de protection de la femme = une
organisation militaire kurde composée exclusivement de femmes. Les YPJ
ont été mises en place en 2013 à titre de brigades féminines des milices
des YPG (Unités de protection du peuple) et sont devenues indépendantes
en 2016. Les YPJ et YPG sont l'aile armée d'une coalition kurde qui a
pris le contrôle de facto sur l'essentiel du Nord de la Syrie à
prédominance kurde dénommé Rojava.
[8]Traité conclu le 10 aout 1920 après la défaite de l'Empire Ottoman
face aux Alliés. Il réduit considérablement le territoire turc et
prévoit la création d'une grande Arménie indépendante et d'une province
kurde autonome. C'est contre ce traité que Mustafa Kemal Atatürk va
mener la guerre d'indépendance.
[9]L'OTAN
[10]Ancien président général de l'AKP et premier ministre d'Erdogan de
2014 à 2016, il défend une politique étrangère d'ouverture vers le
Moyen-Orient, l'Europe et le monde russe. Fervent défenseur de
l'adhésion de la Turquie à l'UE, il défend l'idée d'un nécessaire
renversement de Bachar Al-Assad en Syrie.
[11]Istanbul représente 1/3 du PIB turc
[12]CHP: Parti Républicain du Peuple. Parti laïc social-démocrate
kémaliste, niant l'existence des minorités ethniques en Turquie.
http://oclibertaire.lautre.net/spip.php?article2560
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